Chèque impayé et pouvoir du juge de l'exécution

Arrêt du 22 mai 2025 : La Cour de cassation consacre le contrôle du juge de l'exécution sur les titres exécutoires issus de chèques impayés, étendant sa compétence aux titres non judiciaires et permettant au débiteur de contester leur validité (absence de cause). Cette décision renforce l'équilibre entre efficacité du recouvrement et protection des droits de la défense. Civ. 2e, 22 mai 2025, n° 22-15.566

Consécration du pouvoir de contrôle du juge de l'exécution sur les titres exécutoires délivrés en cas de chèque impayé
Civ. 2e, 22 mai 2025, n° 22-15.566

L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 22 mai 2025 marque une étape de plus dans l'évolution des pouvoirs du juge de l'exécution.

En reconnaissant explicitement la compétence du juge de l'exécution pour apprécier la validité des titres exécutoires délivrés par les commissaires de justice en application de l'article L. 131-73 du code monétaire et financier, cette décision étend le champ d'application du revirement jurisprudentiel opéré en 2009 aux chèques impayés, consolidant ainsi la dichotomie entre titres exécutoires judiciaires et non judiciaires dans le droit de l'exécution français.

L'inscription de l'arrêt dans l'évolution jurisprudentielle des pouvoirs du juge de l'exécution

Le revirement de 2009 et ses prolongements

Cette décision s'inscrit directement dans la continuité du revirement jurisprudentiel opéré par l'arrêt de la deuxième chambre civile du 18 juin 2009.

Avant cette date, la Cour de cassation refusait de reconnaître au juge de l'exécution le pouvoir de statuer sur des demandes tendant à remettre en cause le titre exécutoire, sans distinction selon la nature de ce titre1. Cette jurisprudence uniforme ne soulevait aucune difficulté particulière pour les titres judiciaires, protégés par l'autorité de la chose jugée, mais s'avérait problématique pour les titres non judiciaires qui ne bénéficient pas de cette protection.

Le revirement de 2009 a établi une distinction fondamentale en admettant que le juge de l'exécution pouvait annuler un titre exécutoire notarié à l'occasion d'une contestation relative à une mesure d'exécution forcée1. Cette solution a été progressivement étendue à d'autres titres exécutoires de nature contractuelle, notamment les transactions. La Cour de cassation opère ainsi une distinction entre la chose jugée, la chose convenue et la chose transigée, seule la première s'imposant au juge de l'exécution.

La consécration d'une typologie des titres exécutoires

L'arrêt du 22 mai 2025 confirme l'existence d'une dichotomie entre titres exécutoires de premier rang, constitués par les décisions de justice qui s'imposent au juge de l'exécution, et titres exécutoires de second rang, ne bénéficiant pas de ce caractère intangible et pouvant être contestés devant le juge de l'exécution. Cette classification, conceptualisée par la doctrine, trouve désormais une application explicite aux titres délivrés en cas de chèques impayés.

La chambre commerciale, dans son avis du 20 novembre 2024, a précisé que le titre exécutoire délivré après établissement par le tiré d'un certificat de non-paiement n'est pas une décision de justice et ne fait que certifier l'absence de provision du chèque2. Cette qualification justifie son classement parmi les titres de second rang, susceptibles de contestation devant le juge de l'exécution.

La spécificité de la procédure des chèques impayés et l'application du droit commun de l'exécution

Le mécanisme de l'article L. 131-73 du code monétaire et financier

La procédure de recouvrement des chèques impayés, codifiée à l'article L. 131-73 du code monétaire et financier, présente des caractéristiques particulières qui justifient un traitement spécifique. Après un délai de trente jours suivant la première présentation d'un chèque impayé, un certificat de non-paiement peut être délivré par le tiré. La notification de ce certificat au tireur vaut commandement de payer, et l'absence de justification de paiement dans un délai de quinze jours permet au commissaire de justice de délivrer un titre exécutoire sans autre formalité.

Cette procédure simplifiée, qui s'effectue en dehors de tout contrôle judiciaire préalable, explique pourquoi le titre ainsi obtenu ne peut bénéficier de la protection attachée aux décisions de justice. Le caractère non contradictoire de cette procédure justifie que le droit à un débat contradictoire puisse être rétabli au stade de l'exécution1.

L'articulation avec le principe d'inopposabilité des exceptions

L'arrêt apporte une précision importante concernant l'articulation entre les pouvoirs du juge de l'exécution et le principe d'inopposabilité des exceptions prévu à l'article L. 131-25 du code monétaire et financier. La chambre commerciale a précisé dans son avis que ce principe ne s'applique pas dans les rapports entre le tireur et la personne à qui ce dernier a remis le chèque en qualité de bénéficiaire2. Cette limitation permet au tireur de soulever devant le juge de l'exécution une exception tirée de l'absence de cause du chèque, comme en l'espèce2.

Cette solution préserve l'équilibre entre la protection de la circulation des chèques et les droits de la défense du tireur dans ses rapports directs avec le bénéficiaire originaire.

Les implications procédurales et l'étendue des pouvoirs du juge de l'exécution

La compétence exclusive du juge de l'exécution

L'arrêt vise l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, qui confère au juge de l'exécution une compétence exclusive pour connaître des difficultés relatives aux titres exécutoires, même si elles portent sur le fond du droit. Cependant, comme le relève pertinemment le commentaire, il s'agit moins d'un problème de compétence que d'un problème de pouvoir. Le juge de l'exécution était déjà compétent pour connaître de la contestation ; la question portait sur l'étendue de ses pouvoirs pour apprécier la validité du titre.

La Cour de cassation reconnaît ainsi au juge de l'exécution une plénitude de juridiction pour apprécier la validité d'un titre exécutoire, dès lors que cela ne porte pas atteinte à l'autorité de la chose jugée. Cette solution est cohérente avec le principe selon lequel le juge de l'action est juge de l'exception.

Les limites persistantes des pouvoirs du juge de l'exécution

Malgré cette extension de ses pouvoirs, le juge de l'exécution demeure soumis aux limitations prévues par l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution, qui lui interdit de modifier le dispositif d'une décision de justice servant de fondement aux poursuites ou d'en suspendre l'exécution. Cette limitation ne concerne toutefois que les titres judiciaires, confirmant la pertinence de la distinction entre titres de premier et de second rang.

L'article R. 121-14 du même code prévoit que le juge de l'exécution statue comme juge du principal, ce qui lui confère des pouvoirs étendus d'appréciation. Cette disposition, combinée à l'arrêt commenté, confirme que le juge de l'exécution dispose d'une compétence de pleine juridiction pour les titres non judiciaires.

Portée et perspectives de la décision

L'extension possible à d'autres titres exécutoires

L'arrêt ouvre la voie à une extension de cette jurisprudence à d'autres titres exécutoires non judiciaires. Le commentaire évoque notamment le titre exécutoire émis par un commissaire de justice dans le cadre de la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances et les transactions contresignées par avocats revêtues de la formule exécutoire1. Ces titres, qui ne procèdent pas d'une décision de justice, pourraient logiquement être soumis au même régime de contestation devant le juge de l'exécution.

Les enjeux pratiques pour les praticiens

Cette évolution jurisprudentielle a des implications pratiques importantes pour les créanciers utilisant la procédure de recouvrement des chèques impayés. Ils doivent désormais anticiper la possibilité d'une contestation devant le juge de l'exécution portant sur la validité du chèque lui-même, et non plus seulement sur les modalités de l'exécution. Cette ouverture renforce la protection des débiteurs tout en maintenant l'efficacité de la procédure de recouvrement.

Conclusion

L'arrêt du 22 mai 2025 consacre une évolution cohérente du droit de l'exécution qui distingue clairement les titres exécutoires selon leur origine judiciaire ou non judiciaire. En étendant explicitement aux chèques impayés la possibilité de contestation devant le juge de l'exécution, la Cour de cassation achève la construction jurisprudentielle amorcée en 2009. Cette solution, qui préserve l'autorité de la chose jugée tout en permettant un contrôle a posteriori des titres non judiciaires, contribue à l'équilibre entre efficacité de l'exécution et protection des droits de la défense. Elle confirme également le rôle central du juge de l'exécution comme garant de la régularité des procédures d'exécution forcée dans le système juridique français.

Guillaume Fricker | Avocat

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