Procédure collective, caution : obtention d'un titre exécutoire
Le créancier bénéficiaire d'un cautionnement peut obtenir un titre exécutoire contre la caution même si la dette principale n'est pas encore exigible, dès lors qu'il a pris des mesures conservatoires. Cass Com, 5 mars 2025, n°23-20.357

Caution et procédure collective : la consécration d'un nouvel outil pour le créancier
Cour de cassation, chambre commerciale, 5 mars 2025, n° 23-20.357
I. Les faits et la procédure
L'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 5 mars 2025, n° 23-20.357, s'inscrit dans une problématique récurrente du droit des entreprises en difficulté : l'articulation entre les droits du créancier bénéficiaire d'un cautionnement et les effets protecteurs des procédures collectives.
En l'espèce, MM. J et W s'étaient rendus cautions solidaires de la société Luko au profit de la Banque CIC Sud-Ouest, en garantie d'un prêt de 250 000 euros consenti le 3 avril 2014 dans la limite de 300 000 euros.
Suite à la mise en redressement judiciaire de la société Luko le 27 avril 2017, la banque avait déclaré sa créance puis assigné les cautions en exécution de leurs engagements les 19 et 20 septembre 20171. Parallèlement, elle avait été autorisée par deux ordonnances du juge de l'exécution à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur des immeubles appartenant aux cautions.
La cour d'appel de Toulouse avait rejeté la demande de condamnation formée par la banque au motif que « l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire empêche de prononcer la déchéance du terme du prêt et que la caution ne peut être poursuivie qu'à hauteur des sommes exigibles en application de l'échéancier contractuel ». Cette position, qui subordonnait l'obtention d'un titre exécutoire à l'exigibilité de la créance contre la caution, a été censurée par la Cour de cassation.
II. La solution de la Cour de cassation : l'autonomisation du droit d'obtenir un titre exécutoire
A. Le principe posé : l'indépendance entre l'obtention du titre exécutoire et l'exigibilité de la créance
La Cour de cassation énonce un principe clair : « Il résulte de la combinaison de ces textes que le créancier bénéficiaire d'un cautionnement consenti par une personne physique, en garantie de la dette d'un débiteur principal mis ensuite en redressement judiciaire, peut prendre des mesures conservatoires sur les biens de la caution et doit introduire, dans le mois de leur exécution, une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire, à peine de caducité de ces mesures ».
Cette solution s'appuie sur la combinaison des articles L. 622-28, alinéas 2 et 3, L. 622-29, rendus applicables au redressement judiciaire par les articles L. 631-14 et L. 631-20 du code de commerce, ainsi que sur l'article R. 511-7 du code des procédures civiles d'exécution. L'innovation majeure réside dans l'affirmation que « l'obtention d'un tel titre ne peut être subordonnée à l'exigibilité de la créance contre la caution ».
B. La distinction fondamentale entre obtention et exécution du titre
Cette décision opère une distinction essentielle entre deux moments : l'obtention du titre exécutoire et son exécution effective. Si le créancier peut obtenir un titre exécutoire indépendamment de l'exigibilité de sa créance, cette distinction trouve ses limites dans l'exécution effective du titre.
Comme l'a précisé la Cour de cassation dans son arrêt du 13 décembre 2023, n° 22-18.460, « le créancier muni de ce titre ne peut toutefois en poursuivre l'exécution forcée contre les biens de la caution qu'à la condition que la créance constatée par le titre soit exigible à l'égard de cette caution et dans la mesure de cette exigibilité ».
L'arrêt du 13 décembre 2023 précise également que « le titre exécutoire n'a pas à préciser que son exécution ne sera possible sur les biens de la caution que lors de l'exigibilité des créances » et que « le contrôle de cette exigibilité relève, en application de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, de l'appréciation du juge de l'exécution en cas de contestation soulevée à l'occasion de l'exécution forcée du titre ».
III. L'évolution jurisprudentielle : d'une protection absolue à un équilibre des intérêts
A. L'état du droit antérieur : une protection rigide de la caution
Avant cette décision, la jurisprudence tendait vers une protection plus stricte des cautions en cas de procédure collective du débiteur principal. Les juridictions du fond étaient enclines à considérer que l'interdiction de la déchéance du terme, prévue par l'article L. 622-29 du code de commerce, s'étendait naturellement aux poursuites contre les cautions.
L'article L. 622-29 dispose en effet que « le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ne rend pas exigibles les créances non échues à la date de son prononcé et toute clause liant directement ou indirectement la déchéance du terme d'une créance à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire est réputée non écrite ». Cette règle d'ordre public du maintien du terme avait été interprétée de manière extensive par certaines juridictions.
B. Les prémices de l'évolution : l'arrêt de 2016
Un premier tournant s'était déjà amorcé avec un arrêt de la Cour de cassation du 1er mars 2016, n° 14-20.553, qui avait admis qu'en redressement judiciaire, le créancier bénéficiaire d'une caution personne physique pouvait prendre des mesures conservatoires et obtenir un titre exécutoire indépendamment de l'exigibilité de la créance. Cette décision avait établi que « l'obtention d'un tel titre ne peut être subordonnée à l'exigibilité de la créance contre la caution ».
L'arrêt de 2016 s'appuyait déjà sur la combinaison des articles L. 622-28, alinéas 2 et 3, du code de commerce et des articles R. 511-4 et R. 511-7 du code des procédures civiles d'exécution.
C. Les développements intermédiaires : les arrêts de 2005 et 2015
La construction jurisprudentielle s'était déjà esquissée dans les arrêts du 24 mai 2005, n° 03-21.043 et n° 00-19.721, où la Cour de cassation avait précisé que « le créancier qui a été autorisé à pratiquer une mesure conservatoire contre une caution personnelle personne physique doit, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire, même si le débiteur principal a fait l'objet d'un redressement judiciaire ».
L'arrêt du 2 juin 2015, n° 14-10.673, en matière de sauvegarde, avait également établi que « le créancier est fondé, en application des articles L. 622-28 et R. 622-26 du Code de commerce, à inscrire sur les biens de la caution du débiteur principal soumis à une procédure de sauvegarde une hypothèque judiciaire provisoire et, pour valider cette mesure conservatoire, est tenu d'assigner la caution en vue d'obtenir contre elle un titre exécutoire couvrant la totalité des sommes dues ».
D. La confirmation récente : l'arrêt du 13 décembre 2023
L'arrêt du 13 décembre 2023, n° 22-18.460, avait déjà précisé les contours de cette solution en distinguant clairement l'obtention du titre de son exécution. La Cour avait alors souligné que « le titre exécutoire n'a pas à préciser que son exécution ne sera possible sur les biens de la caution que lors de l'exigibilité des créances », consacrant ainsi une approche pragmatique de la protection des droits du créancier.
IV. Les fondements juridiques de la solution
A. L'articulation des textes du code de commerce
L'arrêt du 5 mars 2025 s'appuie sur une lecture combinée des dispositions du livre VI du code de commerce. L'article L. 622-28, alinéa 2, prévoit que « le jugement d'ouverture suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ». Cependant, l'alinéa 3 de ce même article précise que « les créanciers bénéficiaires de ces garanties peuvent prendre des mesures conservatoires ».
Cette possibilité de prendre des mesures conservatoires constitue le fondement de la solution. En effet, l'article R. 511-7 du code des procédures civiles d'exécution impose au créancier qui a pris une mesure conservatoire d'introduire, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, une procédure ou d'accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire, à peine de caducité.
B. La logique protectrice des mesures conservatoires
Le mécanisme des mesures conservatoires répond à une logique de préservation des droits du créancier face au risque d'insolvabilité. L'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution permet à toute personne dont la créance paraît fondée en son principe de solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
Dans le contexte d'une procédure collective, cette protection revêt une importance particulière. Comme le souligne la doctrine, « les mesures conservatoires correspondent à des garanties qui n'ont pas pour effet de réduire le patrimoine du débiteur », ce qui justifie leur maintien même en cas de procédure collective.
V. Les implications pratiques de la décision
A. Un nouvel équilibre entre protection de la caution et droits du créancier
Cette jurisprudence instaure un équilibre subtil entre la protection légitime des cautions personnes physiques et la préservation des droits des créanciers. D'un côté, les cautions conservent la protection liée à la suspension des poursuites pendant la période d'observation. De l'autre, les créanciers disposent d'un mécanisme leur permettant de sécuriser leurs droits sans attendre l'exigibilité effective de leur créance.
Cet équilibre s'inscrit dans la philosophie générale du droit des entreprises en difficulté, qui vise à encourager les dirigeants à solliciter l'ouverture d'une procédure collective le plus tôt possible. En effet, un système trop protecteur des cautions pourrait dissuader les créanciers d'accepter de telles garanties, nuisant ainsi au financement des entreprises.
B. Les conséquences procédurales
Sur le plan procédural, cette solution offre aux créanciers une sécurité juridique accrue. Ils peuvent désormais obtenir un titre exécutoire dès lors qu'ils ont pris des mesures conservatoires, sans avoir à démontrer l'exigibilité immédiate de leur créance. Cette possibilité est particulièrement précieuse dans le contexte des procédures de redressement judiciaire, où l'incertitude sur l'issue de la procédure peut perdurer plusieurs années.
Le créancier doit néanmoins respecter le délai d'un mois prévu par l'article R. 511-7 du code des procédures civiles d'exécution pour engager la procédure d'obtention du titre exécutoire. Ce délai court à compter de l'exécution de la mesure conservatoire et constitue une condition de validité sous peine de caducité.
VI. Les perspectives d'évolution
A. L'impact de la réforme de septembre 2021
Cette jurisprudence s'inscrit dans un contexte de réforme majeure du droit des entreprises en difficulté et du droit des sûretés. L'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 a modifié substantiellement le livre VI du code de commerce. Parallèlement, l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a réformé le droit du cautionnement.
Ces réformes ont notamment étendu le bénéfice du plan de redressement aux cautions personnes physiques, alors qu'il était auparavant limité au plan de sauvegarde. Cette évolution, qui affaiblit théoriquement l'efficacité du cautionnement en cas de procédure collective, rend d'autant plus pertinente la solution retenue par la Cour de cassation pour préserver les droits des créanciers.
B. L'harmonisation européenne
Cette évolution jurisprudentielle s'inscrit également dans le mouvement d'harmonisation européenne du droit de l'insolvabilité7. La directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive a influencé les réformes récentes du droit français7. L'objectif est de favoriser la restructuration des entreprises en difficulté tout en préservant les droits des créanciers.
VII. Les enseignements pour la pratique
A. Les recommandations pour les créanciers
Cette décision délivre plusieurs enseignements pratiques pour les créanciers bénéficiaires de cautionnements. Premièrement, ils doivent systématiquement envisager la prise de mesures conservatoires dès l'ouverture d'une procédure collective du débiteur principal. L'hypothèque judiciaire provisoire constitue un outil particulièrement adapté lorsque la caution dispose d'un patrimoine immobilier.
Deuxièmement, ils doivent respecter scrupuleusement le délai d'un mois pour engager la procédure d'obtention du titre exécutoire. Ce délai revêt un caractère impératif et sa méconnaissance entraînerait la caducité de la mesure conservatoire.
B. Les stratégies défensives des cautions
Pour les cautions, cette jurisprudence impose une vigilance accrue. Elles ne peuvent plus compter uniquement sur l'effet suspensif de la procédure collective pour échapper aux poursuites. Il convient dès lors de privilégier d'autres moyens de défense, notamment l'invocation de l'article 2298 du code civil qui permet à la caution d'opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur.
Les cautions peuvent également contester l'autorisation de mesure conservatoire devant le juge de l'exécution, en invoquant notamment l'absence de créance fondée en son principe ou l'absence de circonstances menaçant le recouvrement.
VIII. La cohérence avec les développements récents de la jurisprudence
A. L'arrêt du 8 septembre 2021
L'arrêt du 8 septembre 2021, n° 19-25.686, avait déjà contribué à préciser les contours de cette problématique. Dans cette décision, la Cour de cassation avait rappelé que « l'article 2290 du code civil interdisant de traiter plus durement la caution que le débiteur principal, par voie d'accessoire la clause figurant à l'article 2 du contrat de cautionnement doit également être déclarée non écrite et la banque ne peut donc se prévaloir de la déchéance du terme à l'encontre » de la caution.
Cette décision s'inscrivait dans la logique de protection des cautions tout en préservant les droits des créanciers dans le cadre des mesures conservatoires.
B. La consolidation de la doctrine jurisprudentielle
L'arrêt du 5 mars 2025 vient consolider une doctrine jurisprudentielle cohérente qui s'est construite progressivement depuis les arrêts de 2005. Cette construction témoigne de la volonté de la Cour de cassation d'adapter le droit des procédures collectives aux réalités économiques contemporaines.
La jurisprudence récente, notamment l'arrêt commenté du 5 mars 2025, confirme que « selon l'article L. 622-28, al. 2 et 3, qui est applicable à la procédure de redressement judiciaire, le créancier bénéficiaire d'un cautionnement consenti par une personne physique, en garantie de la dette d'un débiteur principal mis ensuite en redressement judiciaire, peut prendre des mesures conservatoires sur les biens de la caution et doit, en application des articles R. 511-4 et R. 511-7 du CPCE, introduire dans le mois de leur exécution une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire, à peine de caducité de ces mesures ».
Conclusion
L'arrêt du 5 mars 2025, n° 23-20.357, marque une étape significative dans l'évolution du droit des procédures collectives appliqué aux cautions. En dissociant l'obtention du titre exécutoire de l'exigibilité de la créance, la Cour de cassation offre aux créanciers un outil efficace pour sécuriser leurs droits, tout en préservant l'équilibre général du système.
Cette solution pragmatique répond aux exigences de la pratique tout en respectant l'économie générale des procédures collectives. Elle confirme que le droit des entreprises en difficulté ne saurait être un obstacle absolu aux droits des créanciers, mais doit plutôt organiser un équilibre entre les différents intérêts en présence.
L'évolution jurisprudentielle amorcée devrait inciter les praticiens à repenser leurs stratégies, tant du côté des créanciers que des cautions. Elle illustre également la capacité d'adaptation du droit français face aux enjeux contemporains du financement des entreprises et de la gestion des difficultés économiques.
Cette décision s'inscrit parfaitement dans la continuité des arrêts antérieurs, notamment celui du 13 décembre 2023, n° 22-18.460, qui avait déjà précisé que « le créancier muni de ce titre ne peut toutefois en poursuivre l'exécution forcée contre les biens de la caution qu'à la condition que la créance constatée par le titre soit exigible à l'égard de cette caution et dans la mesure de cette exigibilité ». L'arrêt du 5 mars 2025 vient donc compléter et consolider cet édifice jurisprudentiel en affirmant clairement le principe selon lequel « l'obtention d'un tel titre ne peut être subordonnée à l'exigibilité de la créance contre la caution ».
