Caution et plan de sauvegarde : la Cour fige l’appréciation de la disproportion au jour de l’assignation
La chambre commerciale tranche, dans son arrêt du 9 juillet 2025 (pourvoi n°23-23.856), la question de la date d’appréciation de la disproportion du cautionnement lorsque le plan de sauvegarde du débiteur principal est arrêté postérieurement à l’assignation de la caution. En maintenant la date d’assignation comme point de référence, la Cour clarifie la coordination entre l’article L. 341-4 du code de la consommation et l’article L. 626-11 du code de commerce, tout en suscitant le débat doctrinal sur la portée protectrice du plan pour la caution.

Cass Com, 9 juillet 2025, pourvoi n°23-23.856
1. Faits, procédure et problématique
À l’origine, la société Cabinet [L] [I] contracte un prêt garanti par la société Interfimo, laquelle obtient le cautionnement de M. [J] et de M. [I].
Suite à la défaillance du débiteur principal, Interfimo assigne les cautions en paiement, puis un plan de sauvegarde est arrêté au bénéfice du débiteur postérieurement à cette assignation.
L’un des cautions, M. [I], conteste la validité de son engagement au motif de sa disproportion, et soulève la question du moment auquel cette disproportion doit être appréciée : au jour de l’assignation ou à celui de l’inexécution du plan ?
2. Motivation et solution retenue par la Cour de cassation
La Cour de cassation procède à une analyse méthodique des textes applicables :
- L’article L. 341-4 du code de la consommation (ancien) : le créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un cautionnement manifestement disproportionné, sauf si le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation au moment où elle est appelée.
- L’article L. 626-11 du code de commerce : le plan de sauvegarde est opposable à la caution, qui peut s’en prévaloir tant qu’il est respecté.
La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence :
« Pour apprécier, au sens de l’article L. 341-4 du code de la consommation, si le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation au moment où elle est appelée, le juge doit se placer au jour où la caution est assignée. Il résulte de la combinaison des articles L. 341-4 du code de la consommation et L. 626-11 du code de commerce précités que si, au moment où la caution est appelée, le débiteur principal bénéficie d’un plan de sauvegarde en cours d’exécution, l’appréciation de la capacité de la caution à faire face à son obligation doit être différée au jour où le plan n’est plus respecté, l’obligation de la caution n’étant exigible qu’en cas de défaillance du débiteur principal. Cependant, il ressort des constatations de l’arrêt que le plan de sauvegarde a été adopté postérieurement à l’assignation de la sous-caution, de sorte que c’est à juste titre que la cour d’appel s’est placée à cette date pour apprécier la capacité de cette dernière à faire face à son obligation. »
« Pour apprécier, au sens de l’article L. 341-4 du code de la consommation, si le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation au moment où elle est appelée, le juge doit se placer au jour où la caution est assignée. Il résulte de la combinaison des articles L. 341-4 du code de la consommation et L. 626-11 du code de commerce précités que si, au moment où la caution est appelée, le débiteur principal bénéficie d’un plan de sauvegarde en cours d’exécution, l’appréciation de la capacité de la caution à faire face à son obligation doit être différée au jour où le plan n’est plus respecté, l’obligation de la caution n’étant exigible qu’en cas de défaillance du débiteur principal. Cependant, il ressort des constatations de l’arrêt que le plan de sauvegarde a été adopté postérieurement à l’assignation de la sous-caution, de sorte que c’est à juste titre que la cour d’appel s’est placée à cette date pour apprécier la capacité de la cette dernière à faire face à son obligation. »
La Cour rejette donc le pourvoi de M. [I], validant la solution de la cour d’appel de Paris.
3. Positionnement dans la doctrine et la jurisprudence
a. Rappel de la construction jurisprudentielle
La jurisprudence constante de la chambre commerciale distingue selon que le plan existe ou non au jour de l’assignation :
- Si le plan est en cours lors de l’assignation, la disproportion s’apprécie à la date de la défaillance du plan (Cass. com., 1er mars 2016, n° 14-16.402 ; 9 juillet 2019, n° 17-31.346 ; 27 mai 2014, n° 13-18.018 ; 2 juin 2015, n° 14-10.673).
- Si le plan est arrêté après l’assignation, la date d’assignation reste le point de référence, comme confirmé ici.
Cette solution, analysée dans la doctrine :« Pour apprécier si la disproportion de l’engagement de la caution lui permet de faire face à son obligation (C. consom., art. L. 332-1), il faut se placer en vertu de ce texte au jour où le plan n’est plus respecté. L’obligation de la caution n’est en effet exigible qu’en cas de défaillance du débiteur principal inhérente au non-respect du plan de sauvegarde ».
b. Références doctrinales
La doctrine s’accorde sur la nécessité de coordonner la protection de la caution avec la finalité du plan de sauvegarde, tout en mettant en avant la logique du rattachement à la date d’exigibilité de l’obligation :
- « La solution posée par la Cour de cassation est respectueuse des deux textes du code de commerce et du code de la consommation qu’elle vise ».
- « La disproportion d’un cautionnement doit être appréciée au jour où le plan de sauvegarde n’est plus respecté » .
- « La caution ne saurait être déchargée quand, au moment où elle est appelée, son patrimoine lui permet de faire face à ses obligations, que l’assignation ayant été délivrée le [date], c’est à ce jour qu’il convient de se placer pour se livrer à cette appréciation »
c. Articulation avec la réforme de 2021
L’ordonnance du 15 septembre 2021, qui a uniformisé le droit du cautionnement en introduisant l’article 2300 du Code civil, ne modifie pas la logique temporelle dégagée :
« Les solutions jurisprudentielles dégagées en application de l’ex-article L 332-1 du Code de la consommation, qui prévoyait dans les mêmes termes la condition de disproportion, seront transposables au nouvel article 2300 du Code civil par analogie de situation ».
4. Critique et portée
a. Sécurité et prévisibilité
La solution retenue renforce la sécurité juridique et la prévisibilité, tant pour les créanciers que pour les cautions, en figeant la date d’appréciation de la disproportion à l’assignation lorsque le plan de sauvegarde n’est pas encore arrêté. Cela évite les discussions a posteriori sur l’existence d’événements postérieurs, en cohérence avec la nécessité de stabilité contractuelle.
b. Limites de la protection de la caution
Cette rigueur présente une limite : la caution ne bénéficie pas de la protection potentielle d’un plan de sauvegarde arrêté après l’assignation, alors même que la situation du débiteur principal pourrait évoluer favorablement. Certains auteurs appellent à une approche plus souple, prenant en considération l’évolution de la situation postérieurement à l’assignation, notamment lorsque le plan est arrêté peu après :
« La solution, bien que conforme à la sécurité juridique, expose la caution à une appréciation figée de sa capacité contributive, sans prise en compte de l’évolution de la situation du débiteur principal ».
c. Portée pratique
La solution clarifie le sort des cautions dans les procédures collectives et s’inscrit dans la continuité des arrêts antérieurs, limitant la portée des exceptions inhérentes à la dette du débiteur principal et refusant l’effet rétroactif du plan de sauvegarde. Elle confirme la position selon laquelle la caution ne peut opposer à la caution principale le plan de sauvegarde arrêté pour le débiteur principal (cf. § 13 de l’arrêt).
5. Conclusion : apport de l’arrêt du 9 juillet 2025
L’arrêt du 9 juillet 2025 (pourvoi n°23-23.856) s’inscrit dans la jurisprudence constante en fixant de manière stricte la date d’appréciation de la disproportion au jour de l’assignation, dès lors que le plan de sauvegarde n’est arrêté que postérieurement. Il renforce la cohérence du droit du cautionnement et pose des jalons clairs utiles à la pratique : la protection de la caution trouve sa limite dans le temps, au détriment parfois de son adaptation à l’évolution de la situation du débiteur.
