La signification préalable du titre exécutoire en matière de saisie immobilière : 503 du cpc
L’arrêt Cass. civ. 2, 3 juillet 2025, n° 23-20.538, s’inscrit dans la lignée des grandes décisions en matière d’exécution forcée. Il rappelle, avec une vigueur renouvelée, la nécessité de signifier préalablement au débiteur le titre exécutoire qui fonde la procédure de saisie immobilière. Cette solution, qui condamne la simple jonction du jugement au commandement de payer, s’appuie sur une construction jurisprudentielle robuste, de 1998 à 2025, et sur une doctrine unanime. Elle impose un formalisme protecteur, critique la pratique de l’acquiescement sans notification préalable et éclaire la place centrale de la sécurité juridique dans la procédure d’exécution.

Cass. civ. 2, 03-07-2025, n° 23-20.538, F-B
1. Faits, procédure et question posée
Dans cette affaire, la société UNOPARFI délivre, le 12mars 2021, à Mme [B] un commandement aux fins de saisie immobilière fondé sur un jugement de 1993 confirmé en appel en 1996.
Ce commandement, auquel était joint le jugement et l’arrêt d’appel, n’était cependant pas accompagné d’un acte de signification distinct.
La cour d’appel de Pau a estimé que la simple jonction des décisions au commandement suffisait à remplir l’exigence de notification préalable.
La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si cette modalité satisfaisait la rigueur du droit de l’exécution.
2. Solution de la Cour de cassation : la rigueur du principe de notification
La Cour casse l’arrêt d’appel en rappelant que :
« En se déterminant ainsi, sans vérifier si l’acte par lequel l’huissier de justice a signifié le commandement de payer valant saisie avait également pour objet de signifier les décisions servant de fondement aux poursuites, alors que la seule jonction au commandement de ces décisions ne peut valoir notification de ces dernières, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
La motivation s’appuie sur l’article 503 du code deprocédure civile, qui dispose :
« Les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soitvolontaire. »
Ce formalisme, loin d’être accessoire, est présenté comme une garantie fondamentale des droits de la défense. Il conditionne la validité de la procédure d’exécution et la sécurité des parties.
3. Ancrage doctrinal et normatif du formalisme protecteur
La doctrine unanime insiste sur la portée substantielle de l’article 503 du CPC. Le Mémento Procédure civile 2024-2025 rappelle ainsi :
« Sauf exécution volontaire, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ilssont opposés qu’après leur avoir été notifiés (CPC art. 503, al. 1). »
Le Recueil Dalloz 2007 précise que le jugement acquiert force exécutoire à la condition d’avoir été notifié :
« Mais en tout état de cause, et quel que soit leur qualification, les jugements, en application de l’article 503 du nouveau code de procédure civile, ne peuvent produire effet sur les droits des parties ni être exécutés qu’après avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire. Ainsi donc, une décision peut avoir autorité de la chose jugée et être passée en force de chose jugée sans pour autant être exécutoire si elle n’a pas été notifiée. C’est la notification qui lui permettra de produire ses pleins effets. »
Dans le Répertoire de procédure civile, la formalité est présentée comme une fin de non-recevoir :
« Le défaut de signification préalable du titre exécutoire à celui auquel il est opposé constitue une fin de non-recevoir, puisque l’article 503, alinéa 1er, du code de procédure civile prévoit qu’aucune décision de justice ne peut être exécutée avant sa signification. En aucun cas, un acte nul ne peut déclencher une procédure de saisie immobilière (Civ. 2e, 21 nov. 2002, n° 01-10.222, Bull.civ. II, n° 270 ; D. 2003. 42 ; Gaz. Pal. 5-6 sept. 2003, p. 13, note Brenner).»
La doctrine insiste sur la cohérence de ce formalisme avec les impératifs de loyauté procédurale, de sécurité juridique et de garantie du débat contradictoire.
4. Filiation jurisprudentielle : une continuité de rigueur (1998-2025)
L’arrêt du 3 juillet 2025 s’inscrit dans le prolongement d’une série d’arrêts majeurs, qui structurent le contentieux de l’exécution forcée depuis plus de vingt ans. La Cour de cassation a construit,de façon progressive et constante, un régime de rigueur et de protection.
En 1998 déjà, la deuxième chambre civile posait que :
« Le commandement depayer doit être délivré, si le titre exécutoire fondant la poursuite est une décision judiciaire, après la signification de celle-ci (C. pr. exéc., art. R.221-4 – C. pr. civ., art. 503). Cette formalité est obligatoire même si la décision mise à exécution est passée en force de chose jugée. »
(Civ. 2e, 25 févr. 1998, n° 96-12.438, P II, n°60 ; Rev. huiss. 1998. 951)
Cette exigence de signification préalable, même en présence d’une décision passée en force de chose jugée, a été réaffirmée en 2002 : « Le défaut designification préalable du titre exécutoire à celui auquel il est opposé constitue une fin de non-recevoir (…) En aucun cas, un acte nul ne peut déclencher une procédure de saisie immobilière. »
(Civ. 2e, 21 nov. 2002, n° 01-10.222, Bull. civ.II, n° 270)
En 2010, la Cour a précisé les contours de l’acquiescement : « Le paiement effectué à la suite de la délivrance d’un commandement de saisie-vente ne peut être qualifié de volontaire. (…) Ces paiements ne pouvaient priver le débiteur du droit de contester l’absence de signification de la décision servant de fondementà la saisie-vente. »
(Civ. 2e, 9 sept. 2010, n° 09-13.525)
Dans son arrêt du 20 mai 2021 (Cass. civ. 2,20-05-2021, n° 19-21.994), la Cour de cassation a rappelé que la connaissance du jugement, même suivie d’un désistement d’appel, ne supplée pas l’exigence de notification régulière. Pour le quai de l'Horloge : « En se déterminantainsi, sans rechercher si la décision servant de fondement aux poursuites avaitété préalablement notifiée à M. Ab, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 503 du code de procédure civile et L. 11-2 du code des procédures civiles d’exécution. »
La solution de 2025 prolonge cette lignée en affirmant que la simple jonction au commandement ne vaut pas notification.
5. Portée procédurale de l’arrêt du 3 juillet 2025
La notification préalable du jugement est la clef devoûte de la sécurité juridique dans la procédure d’exécution forcée.
Premièrement, la notification fait courir les délais derecours. Sans notification régulière, le débiteur ne peut être réputé avoir accepté le jugement ni être forclos dans ses droits. Il peut ainsi être privé de la possibilité de former un appel, un pourvoi ou une opposition, ce qui expose l’ensemble de la procédure à la nullité.
Deuxièmement, la notification conditionne la régularité de toute la chaîne d’exécution forcée. Toute mesure subséquente, qu’il s’agisse du commandement de payer, de l’audience d’orientation ou de la vente, est viciée si la signification préalable fait défaut. La nullité est alors encourue, non seulement pour l’acte initial, mais pour l’ensemble de la procédure.
Troisièmement, la notification permet au débiteur d’identifier précisément l’étendue de ses obligations. Il sait, à la date de signification, quelle est la décision qui fonde les poursuites, et peut utilement se défendre ou s’acquitter de sa dette en toute connaissance de cause.
La doctrine conforte cette analyse. Ainsi, le Droit et pratique des voies d’exécution – Les saisies immobilières, affirme :
« Toutefois, si le titreest un jugement, s’ajouteront les dispositions de l’article 503 C. pr. civ. quiimposent la notification préalable avant exécution »
6. Critique de la pratique des acquiescements sans notification préalable
L’arrêt du 3 juillet 2025, comme les arrêts antérieurs, condamne la pratique de l’acquiescement tacite ou ambigu.
Sur un plan théorique, l’acquiescement sans notification préalable pose une double difficulté. D’une part, il ne permet jamais de savoir précisément à quoi la partie a acquiescé, surtout lorsque la décision comporte plusieurs chefs ou a subi des modifications. D’autre part, il expose le débiteur à une déchéance de ses droits de recours sans qu’il ait eu une information loyale et complète.
La jurisprudence est constante : seul un acquiescement exprès, non équivoque, résultant d’un acte positif et non d’un paiement sous la contrainte, peut suppléer la notification.
Le Mémento Procédure civile le rappelle :
« La notification du jugement n’est pas nécessaire en cas d’acquiescement à celui-ci. Sur les actes qui peuvent constituer un acquiescement, voir n° 17700 s. »
Mais la doctrine et la Cour de cassation précisent que le simple paiement sous la contrainte du commandement ne suffit pas. Le Recueil Dalloz 2011 analyse ainsi :
« Le paiement effectué àla suite de la délivrance d’un commandement de saisie-vente ne peut êtrequalifié de volontaire. (…) Ces paiements ne pouvaient priver le débiteur du droit de contester l’absence de signification de la décision servant de fondement à la saisie-vente (Civ. 2e, 9 sept. 2010, n° 09-13.525) »
Le Droit et pratique de la procédure civile ajoute :
« Le paiement n’est pas"volontaire" si le débiteur commence à exécuter après la délivrance d’un commandement à fins de saisie-vente : en conséquence, le débiteur peut contester l’absence de signification du jugement servant de fondement à cette saisie-vente »
L’acquiescement matériellement incertain est fondamentalement contraire à la sécurité juridique. Il ne saurait être admis qu’une procédure d’exécution puisse prospérer sur la base d’un acte dont le débiteur n’a pas eu connaissance officielle, ni sur la base d’un comportement ambigu.
7. Conséquences pratiques et recommandations
À la lumière de cette jurisprudence, il incombe aux praticiens du droit de l’exécution d’agir avec la plus grande vigilance. Il est impératif, pour le créancier, de s’assurer que la décision fondant l’exécution a été notifiée au débiteur selon les formes requises par les articles 503 et 675 du code de procédure civile.
La pratique consistant à annexer le jugement au commandement, ou à invoquer un acquiescement non caractérisé, expose à la nullité de toute la procédure et à la remise en cause de la distribution du prix de vente de l’immeuble saisi ou de toute mesure subséquente. La sécurité du débiteur est ainsi garantie, mais aussi celle du créancier, qui évite le risque d’un contentieux ultérieur de nullité.
En matière prud’homale, la même exigence de rigueur s’impose. Le Répertoire de droit du travail rappelle :
« Le jugement du conseilde prud’hommes ne peut être exécuté contre celui à qui il est opposé qu’aprèsavoir fait l’objet d’une notification régulière, à moins que l’exécution ne soit volontaire (C. pr. civ., art. 503). »
Conclusion : la notification préalable, pilier de la sécurité juridique
Cet arrêt s’impose comme la synthèse d’une construction jurisprudentielle exigeante et cohérente, depuis les arrêts de 1998 et 2002 jusqu’aux décisions les plus actuelles.
La notification préalable du titre exécutoire est une conditionsubstantielle et incontournable de l’exécution forcée.
Elle bannit toute pratique alternative incertaine, assure la protection du débiteur contre une exécution surprise, et sécurise la procédure pour le créancier. Le refus constant de l’acquiescement sans notification préalable, tant dans lajurisprudence que dans la doctrine, traduit une exigence de loyauté et declarté procédurale, indispensable à l’équilibre des droits des parties.
Qu'on se rassure, le bullshit survivra. On va pas faire dépenser 60 balles au client pour rien...
