Application des règles de procédure civile d'exécution aux adjudication judiciaire en cas de liquidation

Analyse de l'arrêt du 26 mars 2025 qui précise l'articulation entre les règles de la liquidation judiciaire et celles des procédures civiles d'exécution lors d'une adjudication. La décision clarifie la recevabilité des contestations de vente (art. L. 642-3 C. com. vs R. 322-49 CPCE) et sanctionne l'excès de pouvoir du juge et la procédure abusive. Cass. com., 26 mars 2025, n° 23-20.045

Application des règles des procédures civiles d'exécution aux adjudications judiciaires en liquidation : précisions sur l'articulation des régimes

Cass. com., 26 mars 2025, n° 23-20.045

L'arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 mars 2025 apporte des clarifications importantes sur l'articulation entre les règles du Code des procédures civiles d'exécution et celles du Code de commerce en matière d'adjudication judiciaire dans le cadre d'une liquidation judiciaire1. Cette décision, qui fait l'objet d'une cassation partielle, illustre parfaitement les difficultés pratiques résultant de l'imbrication de ces deux régimes juridiques et confirme certains principes procéduraux fondamentaux.

Les faits et la procédure

L'espèce met en lumière une situation classique mais juridiquement complexe de liquidation judiciaire. Une société propriétaire de terres agricoles, dirigée par M. H. B., est placée en liquidation judiciaire le 13 décembre 20111. Le liquidateur, M. P., obtient l'autorisation du juge-commissaire de vendre le domaine agricole par adjudication publique. Cette vente intervient le 2 juillet 2019, l'ensemble immobilier étant adjugé à Mme N., épouse de M. H. B., pour un prix de 1 010 000 euros.

M. D. B., frère du dirigeant et titulaire d'un droit de jouissance et d'occupation sur les terres, conteste cette adjudication en invoquant l'article L. 642-3, alinéa 3, du Code de commerce. Ce texte prohibe les cessions d'actifs aux dirigeants et à leurs proches, dans un objectif d'éviter les fraudes et de garantir une vente au meilleur prix.

La cour d'appel de Bourges, par arrêt du 15 juin 2023, confirme le jugement qui avait déclaré la demande à la fois irrecevable et mal fondée, tout en condamnant le demandeur à des dommages-intérêts pour procédure abusive.

L'analyse de la Cour de cassation : une cassation partielle bienvenue

La Haute Juridiction procède à une cassation partielle qui mérite une analyse détaillée sur trois points distincts, chacun révélant des enseignements procéduraux significatifs.

L'excès de pouvoir dans le cumul irrecevabilité-rejet au fond

Le premier moyen, accueilli par la Cour, consacre un principe procédural fondamental : un juge qui statue sur une demande qu'il a déclarée irrecevable commet un excès de pouvoir1. Cette règle, qui fait l'objet d'une jurisprudence constante, trouve ici une application particulièrement nette.

En effet, la cour d'appel avait confirmé le jugement qui avait à la fois déclaré la demande irrecevable et l'avait rejetée comme mal fondée. Cette contradiction procédurale constitue une violation des articles 122 et 562 du Code de procédure civile.

Cette solution s'inscrit dans la logique selon laquelle l'irrecevabilité constitue une fin de non-recevoir qui empêche tout examen au fond. Dès lors qu'un juge constate l'irrecevabilité d'une demande, il ne peut plus, sans excéder ses pouvoirs, se prononcer sur le bien-fondé de celle-ci. Cette règle procédurale protège la cohérence du système judiciaire et garantit la sécurité juridique.

L'articulation délicate entre Code de commerce et Code des procédures civiles d'exécution

Le deuxième moyen, rejeté par la Cour, soulève une question fondamentale sur l'articulation entre les deux codes applicables1. La chambre commerciale confirme l'application de l'article R. 322-49 du Code des procédures civiles d'exécution qui impose que les contestations relatives à la validité des enchères soient formées verbalement à l'audience.

En l'espèce, M. D. B. avait été sommé de prendre connaissance du cahier des conditions de vente et d'assister à l'audience d'adjudication, mais s'était abstenu de présenter toute contestation lors de l'audience1.

Cette solution confirme que les deux dispositifs normatifs ne sont pas incompatibles. L'article L. 642-3 du Code de commerce prévoit un délai de forclusion de trois ans pour demander l'annulation d'un acte passé en violation de ses dispositions, tandis que l'article R. 322-49 du Code des procédures civiles d'exécution impose une condition de recevabilité spécifique : la contestation doit être soulevée verbalement à l'audience d'adjudication.

Cette combinaison de conditions de recevabilité distinctes s'observe fréquemment en droit processuel. Par exemple, bien qu'une fin de non-recevoir puisse en principe être soulevée en tout état de cause selon l'article 123 du Code de procédure civile, elle doit néanmoins être présentée au juge de la mise en état avant l'ordonnance de clôture dans le cadre d'une procédure écrite ordinaire selon l'article 802 du même code.

La caractérisation insuffisante de l'abus du droit d'agir en justice

Le troisième moyen, également accueilli, concerne la condamnation de M. D. B. à des dommages-intérêts pour procédure abusive1. La Cour de cassation rappelle que l'exercice d'une action en justice peut dégénérer en abus du droit d'ester en justice, mais que cela suppose la démonstration d'une faute1. Cette exigence s'inscrit dans une jurisprudence établie depuis longtemps, selon laquelle l'abus du droit d'agir en justice suppose une intention de nuire ou une faute grossière.

En l'espèce, l'arrêt d'appel se bornait à retenir que M. D. B. n'avait présenté aucune contestation lors de l'adjudication et avait initié une procédure avec des demandes irrecevables.

Ces motifs sont jugés "impropres à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice". Cette solution protège le droit d'accès à la justice en rappelant que la simple présentation d'une demande qui s'avère irrecevable ne suffit pas à caractériser un abus.

L'impact pratique de cette décision

Cette décision présente plusieurs enseignements pratiques significatifs pour les professionnels intervenant dans les procédures de liquidation judiciaire.

Les conséquences pour les contestations d'adjudication

L'arrêt confirme qu'en cas d'adjudication judiciaire dans le cadre d'une liquidation, les contestations relatives à la qualité de l'enchérisseur doivent impérativement être soulevées lors de l'audience d'adjudication. Le délai de trois ans prévu par l'article L. 642-3 du Code de commerce demeure utile uniquement lorsque la cession d'actifs n'a pas lieu par adjudication judiciaire.

Cette solution pose néanmoins la question de la situation des personnes n'ayant pas été informées de la vente aux enchères. En l'espèce, la Cour prend soin de rappeler que le demandeur avait été sommé de prendre connaissance du cahier des conditions de vente et d'assister à l'audience1. Cette précision laisse supposer qu'une personne non informée pourrait éventuellement se prévaloir de la nullité postérieurement à l'audience d'adjudication, bien que la voie de la tierce opposition ne soit pas ouverte contre le jugement d'adjudication2.

La protection contre les cessions frauduleuses

L'arrêt rappelle l'importance de la prohibition édictée par l'article L. 642-3 du Code de commerce, dont l'objectif est d'éviter les fraudes et de garantir une vente au meilleur prix. Cette interdiction, qui concerne les dirigeants de droit ou de fait, leurs parents et alliés jusqu'au deuxième degré inclusivement, ainsi que les contrôleurs, s'applique à toutes les formes de cession d'actifs, y compris les enchères et surenchères.

La portée de cette interdiction a été précisée par la jurisprudence récente. L'arrêt du 3 février 2021 a ainsi confirmé que l'interdiction de cession des actifs aux proches du dirigeant de la société débitrice est applicable à l'enchère ou surenchère dans le cadre d'une vente aux enchères publiques.

Cette solution étend clairement le champ d'application de l'article L. 642-3 à toutes les modalités d'acquisition, y compris la surenchère du dixième.

La préservation du droit d'accès à la justice

La position adoptée par la Cour sur la qualification d'abus du droit d'agir en justice constitue un signal important de protection du droit d'accès aux tribunaux. En exigeant la démonstration d'une véritable faute, la Haute Juridiction évite que la sanction pour procédure abusive ne devienne un moyen de dissuasion des justiciables légitimement préoccupés par la régularité des procédures.

Cette approche protectrice s'inscrit dans une tendance jurisprudentielle visant à préserver l'effectivité du droit au procès équitable. Elle rappelle que l'irrecevabilité d'une demande, même évidente, ne suffit pas à elle seule à caractériser un comportement abusif justifiant une condamnation à des dommages-intérêts.

Les perspectives d'évolution

Cette décision s'inscrit dans un contexte d'évolution du droit des entreprises en difficulté, marqué notamment par les adaptations liées à la crise sanitaire.

L'articulation entre les différents régimes juridiques applicables aux liquidations judiciaires continue de poser des défis pratiques que la jurisprudence s'efforce de résoudre au cas par cas.

L'arrêt du 26 mars 2025 contribue à cette œuvre de clarification en confirmant que l'application cumulative de conditions de recevabilité issues de codes différents n'est pas nécessairement source d'incompatibilité. Cette approche pragmatique permet de préserver la cohérence du système tout en respectant les objectifs spécifiques de chaque réglementation.

En définitive, cette décision illustre parfaitement la complexité des procédures de liquidation judiciaire et la nécessité d'une approche rigoureuse dans l'articulation des différents régimes applicables. Elle confirme également l'importance du respect des formes procédurales tout en préservant l'accès effectif à la justice pour les justiciables confrontés à des situations souvent complexes et émotionnellement chargées.

Conclusion

L'arrêt de la chambre commerciale du 26 mars 2025 apporte des précisions bienvenues sur l'articulation entre le droit des procédures collectives et le droit des procédures civiles d'exécution. En confirmant l'applicabilité de l'article R. 322-49 du Code des procédures civiles d'exécution aux adjudications réalisées dans le cadre d'une liquidation judiciaire, la Cour de cassation clarifie un point de procédure important pour les praticiens.

Parallèlement, en sanctionnant l'excès de pouvoir commis par les juges du fond et en rappelant les conditions strictes de caractérisation de l'abus du droit d'agir en justice, cet arrêt réaffirme des principes procéduraux fondamentaux. Cette décision contribue ainsi à l'œuvre de clarification jurisprudentielle nécessaire dans un domaine où l'imbrication de régimes juridiques distincts peut générer des difficultés d'application pratique.

Guillaume Fricker | Avocat

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