L'arnaque au président face aux obligations bancaires

Arnaque au président. Qaund la cour de cassation durcit le ton en faveur des victimes : les banques doivent prouver leur propre vigilance avant d'invoquer la négligence du client. La responsabilité bancaire est ainsi renforcée face aux nouvelles formes d'escroquerie sophistiquéeCass Com, 12 juin 2025 n° 24-13.777

L'arnaque au président face à l'obligation de vigilance bancaire

Cass Com, 12 juin 2025 n° 24-13.777

Contexte et enjeux de la fraude au président

La fraude au président constitue une forme d'escroquerie bancaire particulièrement sophistiquée qui consiste pour un fraudeur à usurper l'identité d'un dirigeant d'entreprise afin d'obtenir d'un employé la réalisation de virements frauduleux. Cette technique d'ingénierie sociale exploite la confiance hiérarchique en créant un climat d'urgence et de confidentialité pour pousser les victimes à contourner les procédures habituelles.

L'ampleur du phénomène est considérable puisque selon les données du FBI, près de 22 000 plaintes pour arnaque au président ont été enregistrées en 2022, représentant des pertes de plus de 2,7 milliards de dollars1. En France, cette fraude génère des pertes financières importantes, pouvant s'élever à plusieurs millions d'euros pour une seule entreprise.

Analyse de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2025

Les faits de l'espèce

L'arrêt commenté illustre parfaitement les mécanismes de cette fraude. Le 23 juillet 2019, une salariée de la société H transports a été contactée téléphoniquement par une personne se présentant comme un technicien de BNP Paribas, lui demandant d'effectuer diverses manipulations via le système de paiement à distance2. Ces manipulations ont conduit à l'exécution de deux virements vers des comptes allemands pour un montant total de 98 000 euros.

Position juridique de la Cour de cassation

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de BNP Paribas et confirmé la condamnation de la banque au remboursement intégral des sommes. Cette décision s'appuie sur une analyse approfondie de la notion de négligence grave au sens des articles L. 133-16 et L. 133-19 du Code monétaire et financier.

La Haute juridiction a retenu que plusieurs éléments étaient de nature à tromper la victime : l'usurpation du numéro de téléphone de la banque, la connaissance par l'escroc des opérations réalisées avant l'appel et de leur disparition, ainsi que l'annonce du code s'affichant sur l'écran de l'utilisatrice. Ces circonstances ont permis à la Cour de conclure à l'absence de négligence grave de la société cliente.

Cadre juridique applicable

Distinction entre opérations autorisées et non autorisées

Le régime européen de responsabilité des banques, issu des directives DSP1 et DSP2 et transposé aux articles L. 133-18 à L. 133-24 du Code monétaire et financier, ne s'applique qu'aux opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées. La Cour de cassation a d'ailleurs rappelé dans son arrêt du 27 mars 2024 que ce régime revêt un caractère exclusif, interdisant tout recours parallèle au droit commun de la responsabilité contractuelle.

Cette exclusivité résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment l'arrêt Beobank du 16 mars 2023, qui a consacré le principe d'harmonisation totale de ce régime1. Comme l'a précisé la CJUE, "le régime harmonisé de responsabilité pour les opérations non autorisées ou mal exécutées établi dans la directive ne saurait être concurrencé par un régime alternatif de responsabilité prévu dans le droit national".

Caractère formellement autorisé de la fraude au président

Dans le cas de la fraude au président, l'opération de paiement est techniquement autorisée par la société victime1. Même si cette autorisation résulte d'une manœuvre frauduleuse, la banque exécutante reçoit un ordre de paiement qui émane formellement de son client, avec utilisation des moyens d'authentification appropriés. Cette caractéristique fondamentale place la fraude au président hors du champ d'application du droit européen des services de paiement.

Régime des opérations de paiement non autorisées

Le droit français des services de paiement, issu de la transposition de la directive européenne DSP2, établit un régime de responsabilité précis. L'article L. 133-18 du Code monétaire et financier impose aux banques de rembourser immédiatement les opérations de paiement non autorisées, sauf circonstances particulières.

Cependant, l'article L. 133-19 IV prévoit une exception notable : le payeur supporte les pertes si elles résultent d'un agissement frauduleux ou s'il n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave à ses obligations de sécurité. La jurisprudence récente précise que la banque doit préalablement prouver que l'opération a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée, et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique.

Application subsidiaire du droit français de la vigilance bancaire

C'est précisément parce que le droit européen ne s'applique pas que le droit français relatif à l'obligation de vigilance des établissements bancaires retrouve toute sa pertinence1. Cette obligation, dégagée par la jurisprudence française, impose aux banques de détecter les "anomalies apparentes" dans les ordres de paiement qu'elles reçoivent, sans pour autant violer le principe de non-ingérence dans les affaires de leurs clients.

Parallèlement au régime européen, le droit français impose aux banques une obligation de vigilance qui les conduit à détecter les anomalies apparentes dans les ordres de paiement. Cette obligation permet d'engager la responsabilité bancaire même lorsque les virements sont techniquement autorisés par le client.

Critères d'appréciation des anomalies apparentes

Les tribunaux examinent désormais systématiquement plusieurs critères pour caractériser l'obligation de vigilance bancaire :

  • Les montants inhabituels par rapport aux pratiques antérieures du client
  • La fréquence rapprochée et répétée des opérations
  • Les destinations géographiques atypiques
  • La période de réalisation des opérations
  • Le caractère inhabituel des bénéficiaires

Un arrêt récent de la Cour de cassation du 2 octobre 2024 illustre cette évolution en condamnant une banque qui n'avait pas détecté les anomalies apparentes d'ordres de virement dans une affaire de fraude au président impliquant plus de 2 millions d'euros.

Implications pratiques et évolutions jurisprudentielles

Renforcement de la protection des entreprises

Cette articulation entre droit européen et droit français offre finalement une protection renforcée aux entreprises victimes de fraude au président1. Alors que le régime européen pourrait s'avérer plus restrictif en cas d'opération formellement autorisée, le droit français de la vigilance bancaire permet d'engager la responsabilité des établissements bancaires sur un fondement différent mais complémentaire.

Durcissement des conditions de la négligence grave

La jurisprudence récente témoigne d'un durcissement des conditions d'application de la négligence grave. La Cour de cassation exige désormais des banques qu'elles prouvent leurs propres obligations de vigilance avant d'invoquer la négligence du client. Cette évolution redonne espoir aux victimes de fraudes qui peuvent plus facilement obtenir réparation.

Évolution jurisprudentielle favorable aux victimes

L'arrêt du 12 juin 2025 s'inscrit dans cette logique en adoptant une interprétation restrictive de la négligence grave et en privilégiant l'obligation de vigilance bancaire12. Cette évolution jurisprudentielle témoigne de l'adaptation du droit aux nouvelles formes de criminalité financière et confirme que les banques ne peuvent plus se contenter d'une exécution purement mécanique des ordres de paiement lorsque des anomalies apparentes auraient dû les alerter.

Conclusion

L'arrêt du 12 juin 2025 confirme une tendance jurisprudentielle favorable aux victimes de fraude au président, en privilégiant une approche restrictive de la négligence grave et en renforçant l'obligation de vigilance des banques. Cette évolution témoigne de l'adaptation du droit aux nouvelles formes de criminalité financière et de la nécessité pour les établissements bancaires de développer des systèmes de détection toujours plus performants face à la sophistication croissante des fraudes.

L'intégration de la distinction entre le droit européen et le droit français dans l'analyse de la fraude au président révèle la sophistication du système juridique français qui, par cette articulation subtile entre droit européen et droit national, parvient à offrir une protection efficace contre les nouvelles formes de criminalité financière tout en respectant le cadre d'harmonisation européenne.

Guillaume Fricker | Avocat

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