Licitation bien indivis en procédure collective : décryptage de l'avis de la Cour de cassation

La Cour de cassation précise les limites du liquidateur judiciaire face aux biens indivis antérieurs à la procédure. Analyse de l'arrêt du 21 mai 2025 et implications pratiques. Cass. com 21 mai 2025, n°25-70.008

Licitation d'un bien indivis et procédure collective : la Cour de cassation précise les frontières du pouvoir du liquidateur

Cass. com 21 mai 2025, n°25-70.008

La Cour de cassation vient de rendre un avis éclairant l'articulation délicate entre les règles de la licitation et celles gouvernant la réalisation des actifs en procédure collective.

Par cet avis du 21 mai 2025, la chambre commerciale, financière et économique refuse de répondre à une demande d'avis du tribunal de commerce de Saint-Brieuc, estimant que la question posée ne commande pas l'issue du litige. Cette décision révèle l'importance de bien distinguer les différents régimes juridiques applicables selon la nature du bien et les circonstances de son acquisition.

Les faits et la procédure

La demande d'avis émane du juge-commissaire du tribunal aux activités économiques de Saint-Brieuc, formulée le 5 mars 2025 dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de M. L.

La question soumise à la Haute juridiction portait sur l'articulation entre plusieurs dispositions du Code de commerce : "Comment s'articulent les dispositions de l'article L526-1 et suivants du code de commerce et celles des articles L526-22 et L681-1 et suivants du même code et donc de savoir si le liquidateur judiciaire a le pouvoir de demander la vente de la résidence principale au juge-commissaire pour le compte des créanciers ayant pour gage le patrimoine personnel ?"

Cette interrogation révèle les difficultés pratiques rencontrées par les praticiens face à la réforme du statut de l'entrepreneur individuel, entrée en vigueur le 15 mai 2022. En effet, le nouveau régime établit une distinction claire entre patrimoine professionnel et patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel, avec des conséquences directes sur les droits des créanciers et les modalités de recouvrement.

La solution de la Cour : irrecevabilité pour défaut d'incidence sur l'issue du litige

La Cour de cassation déclare la demande d'avis irrecevable en se fondant sur une analyse factuelle précise. Elle relève que "l'objet du litige porte sur un immeuble acquis en indivision par le débiteur, avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire". Cette circonstance s'avère déterminante pour la solution retenue.

La Haute juridiction rappelle un principe jurisprudentiel constant : "La licitation de cet immeuble, qui est une opération de liquidation partage de l'indivision, échappe aux règles applicables en matière de réalisation des actifs de la procédure collective". Elle cite à l'appui de cette affirmation une jurisprudence bien établie, notamment les arrêts des 2 juin 2015 (n° 12-29.405), 20 septembre 2017 (n° 16-14.295) et 14 mars 2018 (n° 16-27.302).

Dès lors, la question relative au "pouvoir du liquidateur de demander la vente de la résidence principale au juge-commissaire pour le compte des créanciers ayant pour gage le patrimoine personnel" devient sans objet1. La Cour en conclut logiquement que cette question "ne commande pas l'issue du litige et n'est pas recevable".

L'autonomie de la licitation par rapport au droit des procédures collectives

Cette décision illustre parfaitement l'autonomie du régime de la licitation par rapport aux règles gouvernant la réalisation des actifs en procédure collective. La licitation, définie comme "la vente aux enchères d'un bien qui ne peut être partagé commodément et sans perte", obéit à ses propres règles procédurales et substantielles.

Le Code civil établit clairement ce principe à l'article 1686 : "Si une chose commune à plusieurs ne peut être partagée commodément et sans perte ; Ou si, dans un partage fait de gré à gré de biens communs, il s'en trouve quelques-uns qu'aucun des copartageants ne puisse ou ne veuille prendre, La vente s'en fait aux enchères, et le prix en est partagé entre les copropriétaires". Cette procédure trouve également son fondement dans l'article 815 du Code civil qui consacre le principe selon lequel "nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision".

La licitation constitue donc une "opération de liquidation partage de l'indivision"1 qui échappe naturellement au régime de droit commun de la réalisation des actifs en procédure collective. Cette distinction s'explique par la nature même de l'opération : il ne s'agit pas pour le liquidateur de réaliser un actif du débiteur, mais de procéder au partage d'un bien indivis selon les règles du droit civil.

Les implications pratiques pour les liquidateurs judiciaires

Cette décision emporte des conséquences pratiques importantes pour les liquidateurs judiciaires confrontés à la présence de biens indivis dans l'actif du débiteur. Elle confirme que leurs pouvoirs ne s'étendent pas à la mise en œuvre de la licitation, laquelle relève exclusivement du droit commun de l'indivision.

Cette limitation des pouvoirs du liquidateur trouve une justification théorique solide. En effet, l'article L681-1 du Code de commerce, applicable aux entrepreneurs individuels, prévoit que le tribunal "apprécie à la fois" les conditions d'ouverture d'une procédure collective "en fonction de la situation du patrimoine professionnel" et celles d'une procédure de surendettement "en fonction de l'actif du patrimoine personnel". Cette dualité d'appréciation reflète la séparation des patrimoines établie par l'article L526-22 du Code de commerce.

Lorsqu'un bien a été acquis en indivision avant l'ouverture de la procédure, il ne saurait être considéré comme faisant partie du seul patrimoine professionnel ou personnel du débiteur. Sa liquidation relève donc du régime spécifique de l'indivision, indépendamment de la procédure collective.

La portée de la protection de la résidence principale

L'arrêt soulève également indirectement la question de la protection de la résidence principale de l'entrepreneur individuel. L'article L526-1 du Code de commerce prévoit en effet une insaisissabilité de plein droit de la résidence principale par les créanciers professionnels. Cette protection, renforcée par la loi du 6 août 2015, constitue un acquis majeur pour les entrepreneurs individuels.

Toutefois, cette protection ne s'applique qu'aux créanciers "dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle". Elle ne concerne donc pas les créanciers personnels, qui conservent un droit de gage général sur le patrimoine personnel, incluant la résidence principale.

Dans le cas d'un bien indivis, la question de l'application de cette protection devient encore plus complexe. La licitation, en tant qu'opération de partage, ne constitue pas une saisie au sens strict, mais une vente forcée destinée à liquider l'indivision. Elle échappe donc à ces considérations de protection spécifique.

Une clarification bienvenue des frontières procédurales

Au-delà de la solution retenue, cet avis présente l'intérêt de clarifier les frontières entre différents régimes juridiques souvent enchevêtrés en pratique. La Cour de cassation réaffirme que chaque institution juridique conserve son autonomie et ses règles propres, même lorsqu'elles interviennent dans un contexte de procédure collective.

Cette approche compartimentée présente l'avantage de la sécurité juridique. Elle évite les interférences entre régimes juridiques distincts et préserve la cohérence de chaque système normatif. Pour les praticiens, elle constitue un rappel salutaire de la nécessité d'identifier précisément le régime juridique applicable avant d'envisager toute action.

L'irrecevabilité de la demande d'avis, pour défaut d'incidence sur l'issue du litige, illustre également la rigueur avec laquelle la Cour de cassation contrôle l'utilisation de cette procédure. Cette exigence préserve la cohérence du système consultatif et évite les demandes d'avis théoriques ou dépourvues d'utilité pratique.

Conclusion

Cet avis du 21 mai 2025 constitue une contribution utile à la compréhension des rapports entre droit de l'indivision et droit des procédures collectives. En réaffirmant l'autonomie de la licitation, la Cour de cassation préserve la cohérence du système juridique et offre aux praticiens une ligne directrice claire pour l'avenir.

Cette décision s'inscrit dans la continuité d'une jurisprudence constante qui distingue soigneusement les différents mécanismes de réalisation forcée selon leur nature et leur finalité. Elle rappelle que le droit des procédures collectives, malgré son caractère d'ordre public, ne saurait absorber l'ensemble des institutions du droit privé qui conservent leur spécificité et leur régime propre.

Guillaume Fricker | Avocat

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