Locaux commerciaux impropres, loyer à zéro: la Cour valide la suspension sans mise en demeure

Cass. 3e civ., 18 septembre 2025, n° 23-24.005, FS-B: le preneur peut cesser de payer dès le jour de l’impropriété imputable au bailleur, sans formalité préalable — à manier avec preuve d’inexploitation totale pour convertir le risque en levier de négociation.

Cass. 3e civ., 18 septembre 2025, n° 23-24.005

Résumé :


La Cour de cassation admet que le preneur peut suspendre le paiement des loyers, sans mise en demeure préalable, dès le jour où, du fait d’un manquement du bailleur, les locaux deviennent impropres à l’usage prévu au bail, à condition que l’impropriété rende l’exploitation impossible conformément à la destination contractuelle. Cette solution s’appuie sur les articles 1184 ancien, 1719 et 1728 du Code civil, et n’exige pas de mise en demeure, ni sous l’ancien droit ni au regard de la logique de l’article 1219 actuel codifiant l’exception d’inexécution.

Points clés de l’arrêt

  • Portée: la 3e civ. (section) casse partiellement un arrêt de la CA Fort-de-France pour avoir exigé une mise en demeure préalable avant la suspension des loyers alors que la loi ne la prévoit pas.
  • Principe: le preneur peut opposer l’exception d’inexécution du paiement des loyers à compter du jour où les locaux sont devenus impropres à leur usage, en raison d’un manquement du bailleur, sans mise en demeure préalable.
  • Condition: l’« impropriété à l’usage » doit être stricte et rendre impossible l’exploitation selon la destination du bail, une simple gêne ou des désordres partiels ne suffisant pas pour suspendre les loyers.
  • Fondement: articles 1184 ancien (condition résolutoire implicite), 1719 (obligation de délivrance et d’entretien), 1728 (paiement du prix) du Code civil; la Cour sanctionne l’ajout d’une condition de mise en demeure absente du texte.
  • Incidence procédurale: cassation partielle avec renvoi, notamment sur les loyers 2016 et l’indemnisation du préjudice matériel lié aux infiltrations; le chef relatif à certains loyers 2015 demeure confirmé pour d’autres motifs.

Analyse juridique

Portée pratique

La décision sécurise l’usage défensif de l’exception d’inexécution en matière de baux commerciaux lorsque l’obligation de délivrance/entretien du bailleur est défaillante au point de rendre le bien inexploitable, en alignant la pratique sur la lettre des textes sans sur-condition de mise en demeure. Elle ne constitue pas un blanc-seing: la charge de la preuve de l’impropriété (et de son imputabilité au bailleur) reste élevée, et le caractère total de l’impossibilité d’exploiter est déterminant.

Articulation avec 1219 C. civ.

Si l’arrêt mobilise 1184 ancien, sa logique rejoint l’article 1219 qui, depuis 2016, permet de ne pas exécuter tant que l’autre n’exécute pas, sans exiger de mise en demeure préalable, sous condition de gravité et d’exigibilité des obligations réciproques. En bail commercial, lorsque l’impropriété est avérée et imputable au bailleur, l’exigibilité du loyer peut être paralysée corrélativement et immédiatement.

Preuves à documenter

  • Constat contradictoire/huissier établissant l’impropriété et sa date d’apparition (ex. infiltrations rendant les locaux inutilisables).
  • Éléments techniques (expertise, rapports) démontrant l’atteinte à la destination contractuelle et l’impossibilité d’exploiter, non de simples désordres.
  • Traçabilité des échanges sur les manquements du bailleur, même si la mise en demeure n’est pas juridiquement exigée, pour asseoir imputabilité et chronologie.

Points de vigilance contentieux

  • Risque de mauvaise qualification: si l’activité reste partiellement possible, les juges peuvent écarter l’exception et condamner aux loyers.
  • Effets financiers: suspension court « à compter du jour » de l’impropriété; il faut donc dater précisément le basculement et corréler les loyers contestés à cette période.
  • Dommages-intérêts: l’arrêt rappelle aussi l’interdiction de dénaturation des pièces (ici, sur une proposition d’indemnisation d’assurance); la rigueur probatoire est essentielle pour les préjudices matériels.

Conséquences pour bailleurs

  • Anticiper et traiter immédiatement tout désordre susceptible d’affecter l’usage; des travaux diligents limitent le risque d’impropriété et de suspension des loyers.
  • Formaliser les diagnostics, offres de travaux et solutions temporaires pour démontrer l’absence d’impropriété totale et maintenir l’exigibilité des loyers.

Conséquences pour preneurs

  • Avant toute suspension, constituer un dossier probatoire solide établissant l’impropriété totale, sa cause et sa date, et l’imputabilité au bailleur.
  • Notifier factuellement la situation et les demandes de remède, même sans obligation de mise en demeure, pour sécuriser la position et limiter les aléas du litige.

FAQ express

  • Faut-il une mise en demeure pour arrêter de payer les loyers en cas de locaux devenus impropres à leur usage? Non, dès le jour de l’impropriété imputable au bailleur, l’exception d’inexécution peut être opposée sans mise en demeure.
  • Une gêne partielle suffit-elle? Non, il faut une impropriété rendant l’exploitation impossible au regard de la destination contractuelle.
  • Quelle base légale? Articles 1184 ancien, 1719 et 1728 C. civ.; cohérence avec l’esprit de l’article 1219 actuel.
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Guillaume Fricker | Avocat

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