Preuve par la blockchain : un petit pas pour l'homme

Preuve blockchain, propriété intellectuelle numérique, horodatage blockchain, protection des œuvres, preuve numérique - Tribunal Judiciaire de Marseille, 20 mars 2025, n° 23/00046

Reconnaissance de la preuve par blockchain en propriété intellectuelle. Révolution en marche.

Tribunal Judiciaire de Marseille, 20 mars 2025, n° 23/00046

Le 20 mars 2025, le Tribunal judiciaire de Marseille a marqué une étape décisive pour le droit de la propriété intellectuelle en France. Pour la première fois, une juridiction civile française a validé la valeur probante d’un ancrage blockchain pour prouver l’antériorité d’une œuvre dans un litige de contrefaçon de droits d’auteur. Cette décision innovante positionne la blockchain comme un outil stratégique dans la digitalisation de la protection des créations et ouvre la voie à de nouvelles pratiques probatoires, notamment dans le contexte des œuvres générées ou assistées par intelligence artificielle.

Blockchain et propriété intellectuelle : vers une nouvelle ère de la preuve numérique

La blockchain, technologie de registre distribué, permet de stocker des informations de manière transparente, infalsifiable et accessible à tous les membres d’un réseau. Chaque opération inscrite sur la blockchain reçoit une date précise, appelée “ancrage”, qui garantit l’intégrité et l’antériorité des données. Cette caractéristique est particulièrement pertinente pour la propriété intellectuelle, où la capacité à prouver la date de création d’une œuvre est cruciale en cas de litige.

En enregistrant une création sur la blockchain, l’auteur bénéficie d’un horodatage fiable. Toutefois, il est essentiel de rappeler que la blockchain ne prouve pas la titularité ni la date de création intrinsèque de l’œuvre, mais uniquement la date d’enregistrement sur la chaîne. Il appartient donc à l’auteur de faire coïncider la date d’ancrage avec la date réelle de création pour renforcer sa défense en justice.

Cadre légal et évolution jurisprudentielle

En droit français, la preuve des faits juridiques est libre (article 1358 du Code civil), ce qui autorise l’utilisation de la blockchain comme moyen de preuve dans les contentieux de propriété intellectuelle. Jusqu’à cette décision, la France restait prudente, contrairement à l’Italie, à la Chine ou à certains États américains (Tennessee, Vermont, Nevada), qui reconnaissent déjà l’horodatage blockchain comme preuve recevable devant leurs tribunaux.

Un projet d’amendement à la loi PACTE avait d’ailleurs envisagé de consacrer explicitement la valeur probante de la blockchain dans le Code civil, signe d’une volonté politique d’avancer sur ce sujet.

Le litige Az Factory vs Valeria Moda

Dans l’affaire jugée à Marseille, la société Az Factory, créatrice de vêtements originaux, a assigné la société Valeria Moda pour contrefaçon. Pour prouver l’antériorité et l’originalité de ses créations, Az Factory a produit des constats d’huissier attestant de l’ancrage des œuvres sur la blockchain via la plateforme BlockchainYourIP, complétés par une divulgation sur les réseaux sociaux et des dépôts de marque.

Le tribunal a reconnu la validité de ces preuves, estimant que l’ancrage blockchain, corroboré par d’autres éléments matériels (constats, divulgation publique), permettait d’établir la paternité et l’antériorité des œuvres. La société défenderesse a été condamnée pour contrefaçon, avec reconnaissance du préjudice économique et moral subi par Az Factory.

Apport du jugement et portée pour la pratique

Cette décision confirme que la blockchain peut servir de preuve fiable pour attester de l’existence d’une œuvre à une date donnée, à condition d’être associée à d’autres moyens de preuve (constat d’huissier, divulgation publique, dépôt officiel). Toutefois, la valeur probante de la blockchain n’est pas absolue : l’intervention d’un tiers de confiance reste recommandée pour garantir la fiabilité de la procédure.

Le jugement s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence française de plus en plus ouverte à la preuve numérique, comme l’a montré la Cour d’appel de Paris avec l’utilisation des archives web (archive.org) pour établir la contrefaçon.

Perspectives et implications pour les créateurs et innovateurs

La reconnaissance de la blockchain comme mode de preuve en propriété intellectuelle constitue une avancée majeure pour les auteurs, entreprises innovantes et titulaires de droits. Elle leur offre un outil supplémentaire pour sécuriser leurs créations, en particulier dans l’univers numérique et face à la montée des œuvres générées par intelligence artificielle.

À terme, la généralisation de la blockchain pourrait transformer la gestion des droits d’auteur, en facilitant l’horodatage, la traçabilité et la protection des œuvres, tout en simplifiant la résolution des litiges grâce à une preuve numérique robuste et difficilement contestable.

Protection optimale des oeuvres, ce qu’il faut retenir

  • La blockchain permet d’horodater et de prouver l’antériorité d’une œuvre, mais doit être complétée par d’autres preuves pour établir la titularité.
  • Le droit français n’impose aucune formalité pour la protection du droit d’auteur, mais il est conseillé de constituer des preuves d’antériorité (enveloppe Soleau, dépôt légal, constat d’huissier, blockchain).
  • L’intervention d’un tiers de confiance (huissier, notaire) renforce la valeur probante de l’ancrage blockchain.
  • La jurisprudence française évolue vers l’admission de la preuve blockchain, en phase avec les tendances internationales.
  • La blockchain s’affirme comme un levier stratégique pour la protection des créations numériques et l’innovation, notamment face à l’essor de l’intelligence artificielle.

En résumé,

la décision du Tribunal judiciaire de Marseille est un pas de géant vers la reconnaissance de la blockchain comme preuve en propriété intellectuelle en France. Cette évolution ouvre de nouvelles perspectives pour la protection juridique des créations à l’ère numérique, tout en imposant de nouvelles exigences de rigueur probatoire pour les auteurs et innovateurs.

Guillaume Fricker | Avocat

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