Effacement des dettes : subordination à la vente du logement, sauf impossibilité de relogement

Civ2, 22 mai 2025, n°23-10.900 - La Cour de cassation rappelle que l’effacement des dettes, en matière de surendettement, reste strictement conditionné à la vente de la résidence principale, sauf impossibilité manifeste de relogement .

Civ2, 22 mai 2025, n°23-10.900

Introduction : Faits, contexte et problématique

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 mai 2025 (2e civ., n° 23-10.900, publié au Bulletin) s’inscrit dans la lignée des contentieux relatifs au traitement du surendettement des particuliers et interroge, de façon renouvelée, la subordination de l’effacement partiel des créances à la vente préalable du bien immobilier constituant la résidence principale.
Saisi d’un litige opposant un débiteur surendetté à ses créanciers, l’arrêt d’appel avait refusé l’effacement partiel des dettes sans exiger la vente du logement principal, estimant que la situation du débiteur justifiait cette dispense. La Cour de cassation censure partiellement cette décision, précisant les conditions dans lesquelles l’effacement peut être ordonné sans vente, tout en s’interrogeant sur la portée et la prise en compte de l’attitude des créanciers lors de l’octroi du prêt.

Le cœur du débat réside donc dans l’application de l’article L. 733-4 du code de la consommation : la mesure d’effacement partiel des créances peut-elle être ordonnée sans que la vente de la résidence principale ait été tentée ? Quelles sont les exceptions, notamment en cas d’impossibilité manifeste de relogement ? Et, plus largement, l’attitude des créanciers — à travers la connaissance de la situation d’endettement du débiteur au moment de l’octroi du prêt — peut-elle justifier une modulation des mesures de désendettement ?

I. La subordination de l’effacement des créances à la vente du bien immobilier : confirmation, nuance et portée

1. Rappel du cadre légal et des précédents jurisprudentiels

L’article L. 733-4 du code de la consommation prévoit la possibilité d’un effacement partiel des créances, mais la pratique et la jurisprudence antérieures avaient clairement posé le principe de la subordination de cette mesure à la vente du logement principal du débiteur, sauf impossibilité manifeste de relogement.
La décision du 22 mai 2025 s’inscrit ici dans une ligne de continuité, tout en venant préciser les contours de cette exception. Comme le rappelle la doctrine :

  • « L’effacement partiel des créances ne peut pas être ordonné sans être subordonné à la vente de la résidence principale, sauf si le débiteur se trouve dans l’impossibilité manifeste de faire face au coût d’un éventuel relogement » ("L’effacement partiel des créances ne peut pas être ordonné sans être subordonné à la vente de la résidence principale, sauf si le débiteur se trouve dans l’impossibilité manifeste de faire face au coût d’un éventuel relogement Cass. 2e civ., 22 mai 2025, n° 23-10.900, n° 481 FS - B Cass. 2e civ., 22 mai 2025, n° 23-12.659, n° 482 FS - B .").

Cette solution n’est pas isolée : elle s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence antérieure (Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 00-04.210, n° 1409 FS - P + B, sur la nécessité de vendre le logement préalablement à l’octroi d’un moratoire) et elle consacre la rigueur du dispositif légal visant à garantir que l’effacement, mesure grave pour les créanciers, ne soit réservé qu’aux cas où la cession du bien principal est matériellement ou socialement impossible ("Avant d'accorder le moratoire, les juges doivent rechercher si la vente du bien immobilier, saisissable, ne permet pas un apurement du passif suffisant pour permettre un redressement de la situation du débiteur par l'application des mesures de recommandation. Il n'est donc pas possible de faire bénéficier un débiteur du moratoire de dettes tout en constatant qu'il est propriétaire de son logement principal dont la vente permettrait de réduire le solde des prêts immobiliers dus Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 00-04.210, n° 1409 FS - P + B .").

2. Portée et apport de l’arrêt du 22 mai 2025

L’apport principal de l’arrêt du 22 mai 2025 réside dans :

  • La confirmation que la vente du bien immobilier constituant la résidence principale est le principe préalable à l’effacement partiel des créances.
  • L’affirmation claire de l’exception, strictement encadrée, en cas d’impossibilité manifeste de relogement.
  • La censure d’une motivation d’appel trop elliptique ou insuffisamment étayée sur la réalité de cette impossibilité.

La Cour de cassation exige ainsi une motivation rigoureuse de la part des juges du fond, qui ne peuvent se contenter d’une appréciation globale de la situation du débiteur, mais doivent caractériser précisément les éléments rendant impossible le relogement, au regard notamment de l’âge, de l’état de santé, de la composition familiale, du marché locatif local, etc. ("L’effacement partiel des créances ne peut pas être ordonné sans être subordonné à la vente de la résidence principale, sauf si le débiteur se trouve dans l’impossibilité manifeste de faire face au coût d’un éventuel relogement Cass. 2e civ., 22 mai 2025, n° 23-10.900, n° 481 FS - B Cass. 2e civ., 22 mai 2025, n° 23-12.659, n° 482 FS - B .").

Il s’agit d’un avertissement adressé aux juges du fond, mais aussi d’une protection des droits des créanciers, la Cour rappelant la gravité de l’effacement et son caractère subsidiaire.

II. Appréciation de la connaissance de l’endettement par les créanciers et articulation avec l’article L. 733-5 du code de la consommation

1. L’attitude du créancier au moment de l’octroi du prêt

L’arrêt du 22 mai 2025 apporte une clarification sur l’articulation entre l’effacement partiel des créances et la prise en compte de la connaissance, par le créancier, de la situation financière du débiteur lors de la conclusion du contrat.


L’article L. 733-5 du code de la consommation permet en effet à la commission de surendettement de « prendre en compte la connaissance que chaque créancier pouvait avoir de la situation d'endettement du débiteur lors de la conclusion des différents contrats » ("La commission de surendettement prend en compte la connaissance que chaque créancier pouvait avoir de la situation d'endettement du débiteur lors de la conclusion des différents contrats. Elle peut également vérifier que le contrat a été consenti avec le sérieux qu'imposent les usages professionnels C. consom., art. L. 733-5 .") 1.

Ce dispositif vise à sanctionner les comportements fautifs des prêteurs et à responsabiliser l’octroi du crédit. Il appartient aux juges du fond d’apprécier, au cas par cas, si la banque ou l’établissement de crédit a manqué à son obligation de vigilance.

2. Limites et précisions jurisprudentielles

La Cour de cassation, par l’arrêt commenté, précise que la connaissance de la situation d’endettement du débiteur ne saurait, à elle seule, justifier l’effacement partiel sans respect des conditions légales, notamment la vente préalable du bien.

Toutefois, elle admet que cet élément peut justifier une modulation de la mesure d’effacement, notamment sur le quantum ou la proportionnalité de l’effacement, au regard de la faute ou de la légèreté du prêteur ("Cet article vise à sanctionner les créanciers qui ont, par leur faute, contribué au surendettement du débiteur. Sont concernés les contrats de toute nature, pas uniquement les contrats de crédit. Toutefois, aucune disposition réglementaire ne précise comment s'applique ce contrôle et quelle en serait la sanction. Faudrait-il écarter la dette des mesures imposées ? Deux arrêts éclairent sur l'application de ces dispositions, issues de l'article 12, alinéa 4 de la loi Neiertz du 31 décembre 1989 : la réduction du solde restant dû après la vente du logement principal est justifiée par le risque pris par le prêteur en octroyant le prêt sans le sérieux qu'imposent les usages professionnels Cass. 1re civ., 24 févr. 1993, n° 92-04.045, n° 371 F - P CA Caen, 18 oct. 2001, n° 01/00208 : BICC 1er mai 2022, n° 468 .").

En ce sens, l’arrêt du 22 mai 2025 confirme une tendance jurisprudentielle à ne pas faire de l’attitude du créancier un « sauf-conduit » permettant d’écarter la vente du logement principal, mais un critère de modulation au sein du pouvoir d’appréciation du juge.

III. Apports nouveaux, inflexions et limites de la décision

1. Confirmation et précision : la rigueur du principe, la souplesse de l’exception

L’arrêt consolide le principe de la vente préalable du logement principal comme condition de l’effacement partiel des créances, tout en clarifiant l’exception tenant à l’impossibilité manifeste de relogement. Cette exigence de motivation renforce la sécurité juridique pour les créanciers et garantit un traitement équitable pour le débiteur.

2. Portée de la prise en compte de l’attitude des créanciers

La Cour de cassation n’ouvre pas la porte à une remise en cause systématique des dettes contractées auprès de créanciers peu scrupuleux, mais invite à une appréciation circonstanciée, qui doit rester dans le cadre légal strict de l’article L. 733-4 ("On peut, toutefois, s'interroger sur la légitimité de moduler les mesures imposées au regard des usages professionnels. Néanmoins, la Cour de cassation a récemment cassé, sur le fondement de l'article L. 733-5, l'arrêt qui retenait que les mesures de désendettement prévues par le code de la consommation n'ont pas pour justification l'attitude fautive du prêteur et ne peuvent pas, par conséquent, être employées pour sanctionner ce dernier Cass. 2e civ., 22 mai 2025, n° 23-10.900, n° 481 FS - B .").

3. Limites et points de vigilance pour la pratique

  • La motivation exigée des juges du fond sur l’impossibilité de relogement impose un examen approfondi et documenté des circonstances personnelles et familiales du débiteur.
  • L’articulation entre la responsabilité du créancier et le traitement de la dette est limitée à la modulation de l’effacement, et non à l’octroi automatique de la mesure.
  • La question de la « légitimité » d’écarter une dette pour comportement fautif du créancier reste ouverte et peu encadrée réglementairement, ce qui maintient une incertitude contentieuse.

Conclusion :

L’arrêt du 22 mai 2025, pourvoi n° 23-10.900, s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence protectrice de l’équilibre entre les intérêts du débiteur surendetté et des créanciers. Il confirme la nécessité de la vente préalable du logement principal avant tout effacement partiel des créances, sauf impossibilité manifeste de relogement, qui doit être caractérisée avec rigueur.


La Cour encadre également la prise en compte de l’attitude des créanciers, sans en faire un motif autonome d’effacement, mais un critère d’appréciation dans la modulation des mesures de désendettement.


Pour les praticiens, cette décision impose une vigilance accrue dans la motivation des décisions de fond, tant sur l’impossibilité de relogement que sur la responsabilité du créancier.

L’arrêt, sans bouleverser l’état du droit, en précise les contours et contribue à une meilleure sécurisation des pratiques devant les commissions de surendettement et les juridictions, tout en maintenant un équilibre subtil entre rigueur procédurale et souplesse humaniste.

Guillaume Fricker | Avocat

NEWSLETTER *

Nos actus &
biens immobiliers -

Merci ! Pour discuter de votre projet, vous pouvez prendre rendez-vous ici !
Oops! Something went wrong while submitting the form.
Button Text