Acte d'huissier : nullité de l'acte incomplet
Acte d’huissier. Toutes les pages et rien que toutes les pages. CA Paris, 6, 1, 10-12-2024, n° 24/02402
.avif)
Quand faire n'importe quoi entraîne la nullité de l'acte. CQFD.
Matérialité de l’acte d’huissier. Toutes les pages et rien que toutes les pages.
Appel – Incident – caducité – grief – acte – nullité –signification
Résumé :
Un acte de signification de conclusions d’appel est annulé, motif pris que celui-ci était incomplet puisque ne contenant que les pages impaires.
La cour d’appel, après avoir déclaré l’acte nul, constate la caducité de l’appel.
La contestation :
la SAS Cap, par son mandataire ad’hoc, interjette appel d’un jugement CPH de Bobigny du 5 mars 2024.
La déclaration d’appel est datée du 9 avril 2024. Les conclusions d’appelant sont déposées au greffe le 9juillet 2024 ; l’intimé constituant avocat le 17 septembre 2024.
Il saisi alors le conseiller de la mise en état d’un incident relativement à la caducité de la déclaration d’appel.
Il demande au conseiller de la mise en état, In limine litis, d’annuler purement et simplement l'acte de signification des conclusions du 24 juillet 2024 délivré par l’appelante, motif pris que celui-ci ne présentant qu’une page sur deux ; cette irrégularité faisant grief et entrainant la nullité de l’acte et partant, la caducité de la déclaration d'appel n°24/08436 à l’encontre du jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 5 mars 2024.
L’intimé rappelle que l’acte qui lui a été remis, outre l’absence des pages impaires des conclusions, ne contenant pas non plus le dispositif desdites conclusions lequel n’était pas non plus porté à sa connaissance.
Il en déduit que cette irrégularité lui fait grief en ce qu’il n’avait pas connaissance des critiques formulées à l’encontre du jugement et partant, qu’il n’était pas en mesure de conclure utilement en défense.
En l’absence de précision de l’arrêt, on peut imaginer qu’il a été demandé à l’huissier instrumentaire de régulariser la situation en précisant le nombre de feuilles contenues dans l’acte.
En effet, l’intimé de préciser également que le mail de l'huissier instrumentaire, postérieur à l’acte querellé, qui indique que l'acte contenait 11 feuilles et non 11 pages, ne peut contredire les mentions portées à l'acte.
En tout état de cause, les conclusions n'ayant pas été valablement signifiées, il en déduit que la déclaration d'appel est caduque.
Réponse de la cour d'appel:
Elle rappelle les dispositions de l’article 911 du code de procédure civile ; savoir que les conclusions sont notifiées aux avocats des parties mais également qu’elles sont signifiées au plus tard dans le mois suivant l'expiration des délais prévus à ces articles aux parties qui n'ont pas constitué avocat ; cependant, si, entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat.
Le non-respect de ces dispositions étant sanctionné comme prévu aux articles 905-2 et 908 à 910 dudit code.
La signification incomplète de conclusions d'appelant est affectée d'un vice de forme susceptible d'entraîner sa nullité sur la démonstration d'un grief par l'intimée.
En l'espèce, l'acte de signification des conclusions d'appelant indique qu'il comporte 11 pages.
Le mail de l'huissier indiquant que l'acte comportait 11 feuilles est insuffisant à remettre en cause les indications du procès-verbal de signification.
Il s'en déduit que l'acte de signification des conclusions d'appelant est incomplet. Cette irrégularité de forme fait grief à l'intimé qui ne pouvait avoir connaissance de l'intégralité des critiques formées à l'encontre du jugement dont appel.
L'acte de signification des conclusions est donc nul.
En l'absence de signification régulière des conclusions d'appelant à l'intimé non constitué dans le délai del'article 911, la déclaration d'appel est caduque.
Que retenir de cette décision ?
A première vue, elle pourrait paraître critiquable en ce qu’elle participerait d’un formalisme excessif, la difficulté ayant été régularisée, aux dires de l’appelant, par le mail de son huissier instrumentaire.
Or, il doit être rappelé ici la finalité de l’acte d’huissier, ce qui fait sa singularité et justifie son existence finalement, savoir son rôle d’information de son destinataire. C’est alors en cela que l’acte querellé est critiquable et doit être annulé. Les éléments d’information indispensables à l’exercice des droits de la défense ne sont pas contenus dans l’acte.
L’article 114, auquel il n’est pas fait référence dans l’arrêt, de rappeler la nécessité d’un grief tiré del’irrégularité. En l’espèce, le grief apparaît indiscutable.
Une question se pose toutefois, la nullité pouvant être régularisée, quid de la valeur d’un mail de l'huissier ?
Rappelons que tout acte d’huissier se compose du corps de l’acte lui-même mais également d’un procès-verbal de signification faisant partie intégrante de l’acte, lequel certifie les modalités de remise de celui-ci, l’acte se composant de X pages ou feuilles.
S’agissant d’un acte accompli par un officier ministériel, il apparaît difficile d’imaginer que l’om puisse régulariser en modifiant simplement le vocable « feuille » et« pages », lesquelles ne sont matériellement pas les mêmes.
Rappelons la sévérité de la cour de cassation s’agissant des décomptes contenus dans les actes d’exécution forcée. Ainsi, les décomptes incomplets et partant, non vérifiables, sont sanctionnés par la nullité de l’acte d’exécution.
Les conséquences de l’irrégularité, savoir la caducité de l’appel in fine, sont lourdes. Toutefois, ce que la Cour d’Appel de Paris semble dire est qu’elle est à la hauteur de l’importance de l’acte de procédure, et ici, de l’acte d’huissier, savoir un pilier de la procédure, qui doit être traité avec la rigueur qu’impose sa nature, celle d’un acte accompli par un officier public et ministériel.
Reste à savoir si un pourvoi sera formé.
