Procédure accélérée au fond et SCI : la Cour verrouille l’accès au juge des référés pour la désignation d’un mandataire
La Cour de cassation confirme, dans un arrêt d'importance du 28 mai 2025, que la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée générale d’une SCI relève exclusivement de la procédure accélérée au fond. Découvrez l’analyse complète de cette décision clé en droit des sociétés civiles et ses impacts pratiques pour les professionnels du secteur.
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Civ 3., 28 mai 2025, pourvoi n° 23-20.769
La décision du 28 mai 2025 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, publiée au Bulletin, vient trancher une question procédurale fondamentale qui cristallisait depuis plusieurs années des incertitudes et des divergences d’interprétation : la désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés d’une société civile immobilière (SCI), à la demande d’un associé non-gérant confronté au refus ou au silence du gérant, relève-t-elle exclusivement de la procédure accélérée au fond ?
Ou bien le juge des référés conserve-t-il une compétence résiduelle en cas d’urgence ou de trouble manifestement illicite ? L’arrêt sous commentaire, solidement étayé par le rapport du conseiller et l’avis de l’avocat général, ainsi que la doctrine (notamment O. Faugère, Dalloz Actualité, 25 juin 2025), marque un tournant décisif, tant sur le terrain de la sécurité juridique que sur celui de la rationalisation de la justice civile.
I. Le contexte du litige et la question procédurale posée
La société civile immobilière Lucas avait été constituée entre la société Milo Finance, la société Poly implant prothèse (prise en la personne de son liquidateur) et une personne physique, Mme [U], assurant la gérance. À la suite du refus de la gérante de convoquer une assemblée générale sollicitée par le liquidateur judiciaire d’un des associés, ce dernier avait assigné en référé la SCI et demandé la désignation d’un mandataire ad hoc chargé de réunir l’assemblée sur un ordre du jour déterminé. Le président du tribunal judiciaire de Toulon avait fait droit à cette demande ; la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait confirmé l’ordonnance, rejetant notamment l’exception d’incompétence soulevée par la SCI, laquelle soutenait que seule la procédure accélérée au fond était applicable depuis la réforme opérée par le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019.
L’enjeu procédural était donc double : d’une part, déterminer si la procédure accélérée au fond, mentionnée à l’article 39 du décret du 3 juillet 1978, excluait toute possibilité de recours au juge des référés ; d’autre part, préciser la sanction procédurale en cas de saisine erronée du juge des référés.
II. L’évolution normative : de la procédure en la forme des référés à la procédure accélérée au fond
L’arrêt s’inscrit dans le contexte d’une réforme de grande ampleur. L’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 et le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 ont supprimé la « procédure en la forme des référés » au profit de la « procédure accélérée au fond », clarifiant une terminologie source de nombreux errements. Comme le souligne le rapporteur, cette réforme visait à distinguer clairement la procédure de fond, même rapide, du référé qui, par essence, ne peut conduire qu’à des mesures provisoires.
L’article 39 du décret du 3 juillet 1978, dans sa rédaction issue de la réforme, prévoit désormais que, lorsque le gérant d’une SCI s’oppose à la demande d’un associé non-gérant ou garde le silence, l’associé demandeur peut, à l’expiration d’un délai d’un mois, « solliciter du président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, la désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés ».
Dès lors, la question se posait de savoir si, en présence d’un texte spécial prévoyant la procédure accélérée au fond, le juge des référés pouvait, à titre supplétif ou concurrent, être saisi, notamment en cas d’urgence.
III. La position de la Cour de cassation : impérativité et exclusivité de la procédure accélérée au fond
A. L’exclusion de la voie du référé
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article 39 précité, affirmant que « la désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés relève du seul pouvoir du président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond ».
Elle considère donc que la cour d’appel a violé la lettre et l’esprit du texte en admettant la saisine du juge des référés, au motif erroné qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit la procédure accélérée au fond dans ce cas.
L’apport de l’arrêt est double : d’une part, il clarifie que le juge des référés ne dispose d’aucun pouvoir pour statuer sur une telle demande lorsqu’un texte spécial prévoit la procédure accélérée au fond ; d’autre part, il consacre l’irrecevabilité de la demande présentée devant le juge des référés, non pour incompétence mais pour défaut de pouvoir juridictionnel.
B. Les fondements doctrinaux et jurisprudentiels
Le rapport du conseiller Cassou de Saint-Mathurin et l’avis de l’avocat général Burgaud convergent sur ce point : la spécificité de la procédure accélérée au fond est de permettre une décision rapide sur le fond, là où le référé ne peut aboutir qu’à une mesure provisoire.
La doctrine avait déjà largement anticipé cette solution, soulignant que la coexistence des deux procédures serait source de confusion et de contentieux inutiles, d’autant que la procédure accélérée au fond satisfait déjà pleinement les exigences de rapidité et d’efficacité (voir O. Faugère, Dalloz Actualité).
La jurisprudence antérieure sur d’autres cas de procédures spéciales (notamment l’article 1843-4 du code civil pour la désignation d’un expert chargé d’évaluer des droits sociaux) avait déjà affirmé l’exclusivité de la voie désignée par le texte, excluant toute intervention du juge des référés (Com., 7 mars 2018, n° 16-25.197 ; 1re Civ., 25 nov. 2015, n° 14-14.003).
C. Portée de la sanction procédurale
La Cour de cassation s’aligne sur une analyse fine de la distinction entre compétence et pouvoir juridictionnel. Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’une simple question de répartition des compétences entre formations d’un même tribunal, mais bien d’un défaut de pouvoir du juge des référés, qui ne saurait se prononcer sur un litige relevant du fond.
La sanction est donc l’irrecevabilité de la demande, qui peut être soulevée en tout état de cause (C. pr. civ., art. 123), et non une exception d’incompétence, laquelle doit être présentée in limine litis (C. pr. civ., art. 74).
Cette solution a des conséquences pratiques importantes, notamment sur l’interruption des délais de prescription ou de forclusion : une demande irrecevable n’interrompt pas le délai d’action (C. civ., art. 2241), alors qu’une déclaration d’incompétence pourrait avoir un effet interruptif (C. civ., art. 2241).
IV. La portée de la décision : sécurité juridique et rationalisation de la justice civile
L’arrêt du 28 mai 2025 marque une étape décisive dans la clarification du contentieux des sociétés civiles et, plus largement, dans la rationalisation des voies procédurales. Il impose aux praticiens une vigilance accrue dans le choix de la voie de droit : la saisine erronée du juge des référés, alors que la procédure accélérée au fond est applicable, expose au rejet pur et simple de la demande, sans possibilité de renvoi devant le juge compétent.
La solution retenue incite également à une lecture évolutive des statuts sociaux : les clauses reprenant l’ancienne procédure en la forme des référés doivent désormais être lues comme visant la procédure accélérée au fond, conformément à l’article 39 dans sa rédaction actuelle.
Enfin, l’arrêt apporte une réponse ferme à la tentation, parfois entretenue par la pratique, d’user du référé à titre d’ultime recours en cas d’urgence, alors même que le législateur a prévu un mécanisme procédural rapide et adapté au règlement définitif du litige. La célérité de la justice n’impose pas de multiplier les voies procédurales, mais de choisir la plus adéquate à la nature de la demande.
V. Perspectives et réflexions doctrinales
L’exclusivité de la procédure accélérée au fond, désormais consacrée, devrait permettre une meilleure sécurité juridique, une plus grande efficacité et éviter la multiplication de contentieux dilatoires ou voués à l’échec. Cette clarification vaut bien au-delà du seul cas des sociétés civiles immobilières et s’applique à tous les contentieux pour lesquels le législateur a entendu créer une voie rapide au fond, distincte du référé.
La doctrine, à l’instar d’Odélia Faugère, salue la cohérence d’ensemble de l’arrêt et la pédagogie de la Cour, qui, en s’appuyant sur les évolutions récentes du droit processuel, offre aux praticiens une grille de lecture claire et sécurisante. Le débat, longtemps théorique, sur la distinction entre compétence et pouvoir juridictionnel, prend ici une dimension très concrète, influant directement sur la stratégie procédurale et la sécurité des droits.
En définitive, l’assemblée générale de la SCI ne pourra plus être convoquée par un mandataire désigné en référé, mais seulement par le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond. La justice civile y gagne en clarté, en efficacité et en prévisibilité.
