Saisie immobilière, jour fixe & Art. 918 : de l'irrecevabilité à l'impasse probatoire
Fini l'irrecevabilité automatique pour défaut de pièces : l'arrêt du 20 novembre 2025 ouvre la porte de la Cour, mais vous laisse plaider "à nu" si le juge écarte vos pièces.
.webp)
Résumé :
L'arrêt du 20 novembre 2025 (Civ. 2e, n° 22-19.710, FS-B) parachève le mouvement de desserrement de l'étau procédural en matière de saisie immobilière. Rompant avec une rigueur historique, la Cour de cassation juge que le défaut de remise des pièces justificatives lors de la requête au Premier président n'est plus une cause d'irrecevabilité de l'appel. Cette solution s'inscrit dans la droite ligne des arrêts du 17 mai 2023 et du 23 mai 2024, qui avaient déjà initié ce glissement de la sanction procédurale vers la sanction probatoire.
La procédure d'appel en matière de saisie immobilière, corsetée par l'impératif de célérité, a longtemps fonctionné comme un piège à loups pour les praticiens. L'article R. 322-19 du Code des procédures civiles d'exécution, renvoyant à la procédure à jour fixe, impose un formalisme strict dès le stade de la requête (CPC, art. 918).
Pendant des années, la moindre omission dans ce parcours d'obstacles était fatale. L'oubli d'une pièce ou d'une mention entraînait une irrecevabilité immédiate, fermant définitivement la porte du prétoire.
L'arrêt rendu le 20 novembre 2025 par la Deuxième chambre civile ne surgit pas du néant. Il est l'aboutissement logique d'une lente maturation jurisprudentielle visant à rééquilibrer les droits de la défense face à la "tyrannie de la forme".
I. La genèse du revirement : Chronique d'une mort annoncée (de l'irrecevabilité)
Pour comprendre la portée de l'arrêt du 20 novembre 2025, il faut remonter le fil d'Ariane tissé par la Haute Juridiction ces trois dernières années.
2023 : La brèche de l'assignation
Le premier coup de boutoir contre le formalisme excessif a été porté par l'arrêt du 17 mai 2023 (n° 21-20.690). La Cour avait alors jugé que l'article 922 du CPC n'imposait pas, à peine de caducité, de joindre à la copie de l'assignation remise au greffe les copies de la requête et de l'ordonnance.
C'était le premier signal fort : la saisine de la Cour (acte juridictionnel) ne doit pas être prise en otage par des exigences administratives disproportionnées.
2024 : La libération des conclusions
L'année suivante, l'arrêt du 23 mai 2024 (n° 22-12.517) enfonçait le clou concernant le contenu de la requête. La Cour jugeait "disproportionnée" l'irrecevabilité de l'appel prononcée au seul motif que la requête ne contenait pas les conclusions au fond.
La Cour de cassation rappelait ici une vérité fondamentale : en matière de jugement d'orientation, le jour fixe est de droit. Le Premier président n'a pas à vérifier le péril ; dès lors, exiger des conclusions au fond dès la requête (alors qu'elles ne servent qu'à apprécier ce péril en droit commun) devenait une formalité inutile et dangereuse.
2025 : La confirmation (30 avril 2025)
Enfin, l'arrêt du 30 avril 2025 (n° 22-17.935) réitérait qu'aucune fin de non-recevoir ne pouvait être tirée de l'absence de conclusions dans la requête. Le terrain était donc préparé pour l'étape ultime : le sort des pièces justificatives.
II. L'arrêt du 20 novembre 2025 : Le nouvel équilibre
C'est dans ce contexte que la Cour de cassation devait trancher la question posée par le pourvoi n° 22-19.710 : quid de l'oubli des pièces visées à l'article 918, notamment la décision attaquée ?
La Cour d'appel de Paris, fidèle à l'ancienne orthodoxie, avait déclaré l'appel irrecevable. La cassation est sans équivoque :
« L'appel n'est pas irrecevable mais la cour d'appel, lors de l'audience des débats, peut, y compris d'office, écarter ces pièces des débats. »
La Haute Juridiction opère ici une distinction capitale entre :
- La recevabilité de l'appel (le droit d'entrer) : Elle est sanctuarisée. L'erreur matérielle lors du dépôt de la requête ne doit plus priver le justiciable de son double degré de juridiction.
- L'administration de la preuve (le droit de gagner) : Elle reste soumise à la rigueur. Si les pièces ne sont pas là pour éclairer le Premier président et, surtout, pour informer l'adversaire dès le stade de la requête, elles peuvent être purement et simplement ignorées.
III. Analyse pratique : Un piège plus subtil ?
Si l'on se réjouit de la fin de l'irrecevabilité-automatique, il faut alerter les praticiens sur la nouvelle nature du risque.
Auparavant, la sanction était binaire (recevable/irrecevable). Désormais, elle est d'appréciation. La Cour peut écarter les pièces. Cela introduit un aléa judiciaire.
- Le magistrat sera-t-il clément si l'oubli est régularisé très vite ?
- Ou sera-t-il intransigeant pour sanctionner le manque de diligence ?
Surtout, comme le souligne l'arrêt, cette sanction peut être relevée d'office. L'avocat de l'appelant se trouve donc face à une "irrecevabilité de fait" : si la Cour écarte la copie du jugement, sur quoi porte l'appel ? Comment critiquer une décision qui n'existe pas aux yeux de la Cour ?
Conclusion
L'évolution jurisprudentielle est cohérente. De 2023 à 2025, la Cour de cassation a méthodiquement désarmé les pièges de l'article 918 et suivants, au nom du droit d'accès au juge et de la proportionnalité (art. 6§1 CEDH).
Mais attention : en remplaçant l'irrecevabilité par le rejet des pièces, elle ne donne pas un blanc-seing à la négligence. Elle transforme une mort subite en une agonie potentielle lors des débats. Pour le praticien de la saisie immobilière, la rigueur reste, plus que jamais, la seule assurance-vie.



