Saisie immobilière. PV de description et nullité de la procédure
Nullité du PV de description. Quand le diable se cache dans les détails... et fait sauter la procédure. Cass. 1re civ., 26 juin 2024, n° 23-13.236

Cass. 1re civ., 26 juin 2024, n° 23-13.236
L'a première chambre civile de la Cour de cassation précise l'étendue des exigences applicables au procès-verbal de description dressé dans le cadre d'une saisie immobilière. Cette décision éclaire quant à la lecture et l'interprétation de l'article R. 322-2 du code des procédures civiles d'exécution. Elle renforce considérablement les obligations des professionnels chargés de cette mission.
Contexte factuel et procédural
Origine du litige
En l'espèce, M. et Mme K. avaient contracté un prêt auprès de la société Crédit foncier de France pour acquérir diverses parcelles. Ce financement était garanti par une inscription de privilège de prêteur de deniers et d'hypothèque conventionnelle. Suite à la cessation des paiements des emprunteurs, la banque a engagé une procédure de saisie immobilière.
Chronologie de la procédure
- 14 avril 2008 : délivrance d'un commandement de payer valant saisie par la banque
- 5 mai 2008 : établissement du procès-verbal descriptif par un huissier de justice de la société Acthemis, mandatée par la société d'avocats Cardonnel-Bayard
- 16 novembre 2011 : jugement prononçant la nullité du commandement de payer et de tous les actes subséquents
- 22 février 2019 : assignation en responsabilité des sociétés Cardonnel-Bayard et Acthemis par la banque
- 12 janvier 2023 : arrêt de la cour d'appel de Nîmes déclarant la société Acthemis responsable
- 26 juin 2024 : rejet du pourvoi par la Cour de cassation
Problème juridique identifié
Le vice qui a entraîné l'annulation de la procédure résidait dans le fait qu'un bâtiment construit sur les parcelles saisies empiétait partiellement sur une parcelle contiguë non incluse dans la saisie. Cette irrégularité n'avait pas été mentionnée dans le procès-verbal de description établi par l'huissier.
Moyens du pourvoi et solution retenue
Argumentation de la société Acthemis
La société Acthemis contestait sa responsabilité en soutenant que "la description des lieux telle que visée par l'article R. 322-2 [du code des procédures civiles d'exécution] ne s'entend pas seulement de leur composition et superficie mais également de la situation juridique du bien". Selon elle, ce texte n'imposait pas d'inclure dans le procès-verbal un état de la situation juridique du bien.
Position de la Cour de cassation
La Haute juridiction rappelle d'abord les dispositions de l'article R. 322-2 du code des procédures civiles d'exécution, selon lequel "le procès-verbal de description comprend notamment la description des lieux, leur composition et leur superficie et tous autres renseignements utiles sur l'immeuble fournis, notamment, par l'occupant".
Elle approuve ensuite expressément l'interprétation de la cour d'appel en confirmant que "la description des lieux s'entendait nécessairement de la situation juridique du bien et devait dès lors inclure l'empiétement d'un bien sur une parcelle contiguë à celle faisant l'objet de la saisie immobilière".
Analyse approfondie de la portée juridique
Extension de la notion de "description des lieux"
L'apport majeur de cet arrêt consiste à clarifier la portée de l'obligation de description imposée par l'article R. 322-2. La Cour de cassation confirme que cette notion ne se limite pas aux aspects purement matériels (composition, superficie), mais englobe également les aspects juridiques du bien, notamment sa situation juridique complète.
Contenu élargi du procès-verbal descriptif
Le procès-verbal doit désormais impérativement mentionner :
- Les caractéristiques physiques du bien (composition, superficie)
- Les conditions d'occupation et l'identité des occupants
- Le nom et l'adresse du syndic en cas de copropriété
- Tous renseignements utiles sur l'immeuble
- La situation juridique du bien, y compris tout empiétement sur des parcelles voisines
Responsabilité professionnelle renforcée
Cette décision accroît significativement la responsabilité des commissaires de justice (anciennement huissiers) chargés d'établir le procès-verbal descriptif. La cour d'appel avait retenu que "l'huissier a manqué à ses obligations professionnelles en s'étant abstenu de procéder à des vérifications complémentaires de nature à mettre en évidence l'anomalie constituée par l'empiètement", position désormais validée par la Cour de cassation.
Formalisme renforcé de la saisie immobilière
L'arrêt s'inscrit dans une tendance jurisprudentielle constante visant à renforcer le formalisme des procédures de saisie immobilière. Cette exigence répond à un impératif de sécurité juridique pour l'ensemble des parties prenantes : créancier saisissant, débiteur saisi et acquéreurs potentiels lors de la vente forcée.
Implications pratiques pour les professionnels
Pour les commissaires de justice
- Obligation de procéder à des vérifications approfondies dépassant la simple constatation matérielle5
- Nécessité de confronter les limites physiques avec les documents cadastraux
- Vigilance particulière pour les constructions situées près des limites parcellaires
- Devoir de mentionner tout empiétement ou anomalie juridique affectant le bien
Pour les avocats en charge de la procédure
- Responsabilité partagée dans la vérification de la régularité des actes de procédure
- Nécessité de s'assurer que le procès-verbal descriptif est complet et précis
- Obligation de vigilance quant à la concordance entre les biens visés au commandement et leur réalité juridique
Pour les créanciers
- Intérêt à mandater des professionnels parfaitement informés de cette jurisprudence
- Nécessité d'anticiper d'éventuelles complications juridiques liées à la situation des biens
- Vigilance accrue concernant la désignation précise des biens dans le commandement de payer valant saisie
Conclusion et perspectives
Cet arrêt du 26 juin 2024 constitue une avancée jurisprudentielle majeure dans l'interprétation de l'article R. 322-2 du code des procédures civiles d'exécution. En affirmant que la description des lieux s'entend "nécessairement" de la situation juridique du bien, la Cour de cassation élargit considérablement le champ des vérifications à effectuer par les professionnels.
Cette décision renforce la sécurité juridique des ventes forcées en imposant une transparence totale sur la situation du bien saisi. Elle contribue à prévenir les annulations de procédure pour vice de forme, préjudiciables à l'ensemble des parties et sources de contentieux complexes en responsabilité professionnelle.
En définitive, l'arrêt du 26 juin 2024 exige des professionnels une rigueur renforcée dans l'exécution de leur mission, avec une attention particulière aux aspects juridiques du bien, qui peuvent désormais constituer le "diable caché dans les détails" susceptible d'anéantir l'ensemble de la procédure de saisie immobilière.
